Chapitre 17

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Gabriel

Les sandwichs que j’ai commandés arrivent à peine dix minutes après mon appel à la réception de l’hôtel. Ce repas rapide nous permet de partir en balade promptement. Sous le soleil méditerranéen, un léger filet de vent caressant notre peau, nous pouvons abaisser notre vigilance et profiter pleinement du bord de mer. L’eau claire va et vient sur les rochers, produisant un son calme et apaisant. Jordan effleure plusieurs fois ma main quand nous marchons, innocemment.
“Si tu veux me tenir la main tu as juste à la prendre.”
Il ne me répond pas, rougit légèrement, et enroule sa grande main autour de la mienne. Il est plein d’audace au quotidien mais se montre timide dès qu’il s’agit de gestes tendres. Il est très tactile, mais conserve une certaine forme d’appréhension pour la douceur, comme s’il avait peur que je le rejette ou de commettre un impair.
“Jordan, nous sommes en couple. N’hésites pas à te rapprocher de moi, je n’ai pas peur que tu t’attaches, bien au contraire.”
Il s'arrête, sans lâcher ma main.
“Je sais, c’est juste que j’ai cette réticence à me montrer moi-même avec toi. J’appréhende d’en faire trop, trop vite. Parfois je me laisse aller et après j’y repense en me disant que j’ai peut-être exagéré.
-Je crois justement que je suis la personne avec qui tu dois être toi-même. Si tu te contient ou te cache avec moi, ça va nous faire du mal à un moment donné.
-Tu as raison.”
Jordan lâche ma main pour passer son bras sur mes épaules. Il me colle contre lui et dépose un baiser sur le haut de mon crâne.
“Là c’est mieux, non ?
-Tu es si contradictoire, je ris en passant mon bras sur sa taille. Dans l’avion tu étais moins craintif. Et dire que c'est toi qui m'a fait prendre confiance en nous.
-Parfois c'est plus fort que ma timidité.
-Je préfère ce Jordan là.”
Mon compagnon sourit en regardant le paysage. Cette manière de nous tenir l’un l’autre n’est peut-être pas la plus confortable, mais elle offre la possibilité d’allier marche et câlin.
Nous arrivons dans une crique à l’eau turquoise entourée de végétation et de rochers. Le chemin sinueux demande une certaine prudence, mais nous débouchons enfin sur la plage. Mon téléphone sonne et j’envoie ma sœur sur messagerie. J’ai envie de profiter de Jordan sans être parasité par les questions qu’elle pourrait me poser. Je l’adore, mais c’est une vraie fouine quand elle sent qu’elle met le doigt sur un secret. Elle rappelle et je l’envoie une fois de plus sur messagerie avant de couper mon téléphone.
“Tu peux décrocher si tu veux.
-Non, c'est ma sœur. Elle va me poser un million de questions et je n’ai pas envie d’y répondre.
-Si tu lui dis que nous sommes en vacances elle pourrait comprendre et nous laisser tranquille.
-Elle…ne sait pas pour nous deux. Je n’en ai parlé à personne.”
Jordan me regarde en fronçant les sourcils d’incompréhension.
“Tu as peur de sa réaction ?
-Non c'est juste que nous deux c’est compliqué à expliquer.
-Compliqué à expliquer ?”
Je sens dans son attitude et dans son ton que je touche un point sensible.
“Je ne veux pas en parler à ma famille ou mes amis pour le moment.
-Je comprends mais ça fait quand même quelques mois maintenant. Je pensais que même sans me présenter tu aurais abordé le sujet avec au moins une personne.
-C’est compliqué.”
Jordan est tendu, je le vois. Ce mot ne lui plaît absolument pas. Il croise les bras, me privant de la tendresse avec laquelle il m’enveloppait.
“Est-ce que par hasard tu aurais… honte de moi ?
-Quoi ? Non pas vraiment c'est juste que…
-Pas vraiment ? Wow, dit-il en passant nerveusement sa main dans ses cheveux, alors ça ça fait mal.
-Jordan je m’exprime mal…
-Non je pense avoir compris. Je te croyais sincèrement quand tu disais passer au dessus de nos différends professionnels au profil de notre relation, mais apparemment ça te dérange dès qu’il s’agit de partager cette même relation avec tes proches.”
Je secoue la tête, perdu. Ce n’est pas ce que je voulais dire, absolument pas.
“Jordan…
-J’ai besoin de quelques minutes. Seul.
-Non, ne laisse pas un malentendu…
-J’ai juste besoin d’un petit moment seul. Après je t'écouterai, promis.”
Hocher la tête pour acquiescer me déchire le cœur, mais je respecte son besoin d’espace. Jordan marche avec une dizaine de pas d’avance pour rejoindre la plage. Une fois arrivé, il ne m’attend pas, retire son t-shirt et entre dans l’eau. Je le regarde s’engouffrer au milieu des petites vagues jusqu’à ce qu’il se mette à nager. Il plonge, ressors, et essuie l’eau qui ruisselle sur son visage fermé. Je meurs d’envie d'aller le rejoindre et de dissiper ce malentendu, mais il m’a dit avoir besoin de solitude. Je vais les lui accorder. Du moins je vais essayer.

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