Chapitre 4

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Gabriel

J'ai foiré mon débat.

Pas totalement d'après mon conseiller de communication, mais mon directeur de cabinet s'est montré plus sceptique à ce sujet. Je ressasse depuis une semaine les événements du direct, tellement déçu de mes propres réactions. Sans compter le comble de l'humiliation lorsque j'ai voulu confronter mon opposant.

Je sais que je vais le revoir ce midi. Il est lui aussi convié à ce repas à l'Elysée. Rien que d'y penser je ne peux m'empêcher de répéter les mêmes gestes, comme des tics nerveux. Je replace ma cravate, frotte mes mains, ou fais tourner l'eau dans mon verre. Cette fois-ci, je compte bien me montrer plus malin. Ou l'ignorer. Ce serait mieux. Oui je vais faire comme s'il n'était pas là, à peine un "bonjour" et au moins je pourrais profiter de ma journée.

Malheureusement pour moi, mes décisions vacillent rapidement lorsque je repère sa voix à quelques mètres de là. Il rit avec deux autres invités, et je déteste ce que ce son produit en moi. Je dois me montrer honnête, c'est un bel homme. Ce qui est dangereux, et qui m'agace, c'est son charme. Cette capacité à capter l'attention, magnétiser son interlocuteur.

Je réprime un frisson de dégoût en sentant mes pensées partir sur un terrain inattendu. Je devrais peut-être faire des rencontres si j'en viens à reluquer mes adversaires.

En parlant du loup, le voici qui s'avance vers moi avec son satané sourire.

Je détourne le regard et me dirige vers des confrères en pleine discussion pour éviter de me confronter à Jordan Bardella. Je ne suis ni d'humeur, ni assez perméable. Je ne m'attendais cependant pas à le voir se joindre à nous et prendre en cours la conversation. Les échanges sont cordiaux et respectueux, mais sa proximité m'empêche de me concentrer sur le sujet des discussions. Il bouge beaucoup quand il parle, ce qui le fait entrer plusieurs fois en contact avec mon bras.

Je termine mon verre afin d'avoir une excuse pour me retirer poliment. Je me dirige vers une serveuse à la tenue impeccablement repassée, et me sers un autre verre sur son plateau.

"Bonjour, Monsieur Attal."

Je soupire, agacé. Il est encore là. Je me retourne et lui offre un sourire de façade, aussi faux que forcé.

"Monsieur Bardella."

J'esquisse un pas pour m'enfuir, mais il pose sa main sur mon épaule.

"Si j'étais susceptible, je pourrais penser que vous m'évitez."

Je devrais rester poli. Je devrais.

"Peut-être avez-vous raison. J'aimerai passer un repas agréable.

-Ma présence vous est-elle donc si désagréable ? me demande-t-il avec un sourire plus grand.

-Je n'apprécie pas vos manières, je lui réponds en repoussant sa main. Je vais m'en tenir au minimum de la politesse avec vous, ce qui est bien assez.

-Vous me vexez. Moi qui pensais que nous commencions à nous entendre."

Je le regarde, surpris de son audace et de sa réponse.

"Je ne vois pas comment nous pourrions nous entendre.

-Je suis persuadé, dit-il en se rapprochant, que vous et moi pourrions avoir une relation un peu plus que cordiale."

Qu'est-ce que..?

"La politique n'est qu'une facette d'une personne, elle ne nous définit pas. Tout comme la religion ou l'orientation sexuelle."

Est-ce qu'il est en train de me draguer ?

"Je pense sincèrement que nous devrions apprendre à mieux nous connaître."

Pourquoi il se rapproche ? Et pourquoi j'ai l'impression qu'il fait un peu plus chaud ?

"Comme ça nous pourrions nous découvrir peut-être des points communs et ainsi échanger lors de ce genre d'événement. Nous ne sommes pas obligés de nous détester vous savez. Vous vous sentez bien ?"

J'ai honte. Tellement honte. J'ai très mal interprété ses paroles. Lui me parlait d'une relation professionnelle agréable, et moi je le croyais en train de me faire du rentre dedans. Mon visage doit être rouge à cet instant, d'où son regard interrogateur.

"Excusez-moi je dois..."

Je ne termine pas ma phrase et prends la direction des toilettes. Je connais les lieux, ce qui me permet de rapidement trouver mon chemin. J'accélère le pas et entre dans la pièce lumineuse. Je me passe immédiatement de l'eau sur le visage avant d'observer mon reflet dans l'un des miroirs.

Quel idiot. On dirait un adolescent.

Ce qui m'énerve, en revanche, c'est ma réaction. Je ne comprends pas comment je peux ressentir ça pour lui.

Impossible.

Je dois me ressaisir sur le champ.

Après le débatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant