XIII. 𝚄𝚗𝚎 𝚏𝚒𝚞𝚝𝚎

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XIII.



Le silence s'était abattu sur la pièce comme une nappe de poussière. Les quelques restes de débris sonores venaient de finir de retomber, plus crasses encore qu'un acouphène en do dièse, ...alors que tous les regards se remettaient de leurs émotions et convergeaient en bloc vers la seule chose qui méritait leur attention : la forme inerte qu'évoquait Jérémie.

...Aussi, Hawthorne eut-il la seule réaction saine à ce type de situation :

« ...Et merde, » gémit-il. « Il va encore nous falloir une pelle. »

Charles n'avait pas pris le temps de se poser ce genre de question. Sa main cherchait déjà un pouls (enfin, techniquement, elle donnait l'impression d'essayer de vérifier successivement si Jérémie n'avait pas : ⒈ de la fièvre ; ⒉ des ganglions ; ⒊ la peste bubonique ; ⒋ des intentions de vote suspectes, ...mais il fallait dire que Charles fonctionnait sur un mode de mimétisme soigneux depuis sa plus tendre enfance et que sa mère n'avait jamais eu à vérifier s'il était encore bel et bien en vie — enfin ; techniquement, elle en avait eu l'occasion une fois ; mais d'autres l'avaient rassurée sur ce point et elle leur avait porté une totale confiance) et il fallait dire que la facilité d'interprétation de ses expressions faciales lisibles comme un abécédaire pour enfants police 32 rassurèrent bien vite la petite assemblée, lorsque sa main s'arrêta délicatement sur un point au niveau du cou du garçon.

« Il est en vie, » confirma-t-il d'une voix étranglée et chargée de soulagement. « Je vous jure, j'ai un pouls. »

...Le long soupir de soulagement qui parcourut la petite assemblée n'eut aucun équivalent humain dans ce monde. À vrai dire, la moitié de l'équipe était sur le point de s'éparpiller à l'encontre de toute notion de responsabilité légale ; avoir la certitude de ne pas avoir tué le petit Jérémie restait une assez bonne nouvelle pour cette journée nulle. (Du côté d'Hawthorne, ledit soupir de soulagement vint avec le fracas métallique d'une pelle qu'on laisse tomber à terre, puisque, contre toute attente, il semblait en avoir dégottée une. Pourquoi ? À quel usage ? Cela restera à l'appréciation du lecteur. Que faisait une pelle dans le salon d'une maison de bonne famille ? Ceci relève de la complexité du multivers.)

« Oui, mais dans quel état ? » déplora Karadec d'une voix rauque, presque inaudible. « Que va-t-on dire aux parents ? »

...Dans un bruit de râlerie, Hawthorne récupéra sa pelle par terre, avant de se prendre une tape visant visiblement à le recentrer sur le droit chemin. (Pour toute personne ayant encore le moindre doute à ce sujet, l'intégralité des tapes, coups de coudes, bourrades, marchages-sur-les-pieds-de-mécontentement de cette histoire venaient intégralement de Marie Vaillette, qui était passée ceinture noire dans l'art de recadrer ses propres collègues comme si elle détenait la morale infuse.)

Charles, complètement aveugle aux nuances de la situation, se redressa lentement, l'air inquiet un peu comme un chiot labrador à qui on aurait mis une balayette. « C'est...qu'est-ce qui vient de se passer, précisément ? »

Karadec passa une main tremblante dans ses courts cheveux noirs. « Je ne sais pas précisément, » avoua-t-il. « Le — l'exorcisme tel que prescrit par le rituel Romain comporte des risques, mais...

Accouche, Karadec, » le pressa Hawthorne, un pli inquiet lui barrant le front.

« ...Hé bien, le démon ou l'entité en général peut tenter de perturber le processus de plusieurs manières, » admit le prêtre, humectant ses lèvres sèches. « C'est seulement...rare, de voir le possédé perdre connaissance comme ça... »

LE DÉPARTEMENT DES DOSSIERS SURNATURELS - 5, rue ChampeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant