XXVII. 𝚀𝚞𝚊𝚗𝚝 𝚊𝚞 𝚍é𝚋𝚞𝚝 𝚍𝚎𝚜 𝚎𝚗𝚗𝚞𝚒𝚜

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XXVII.



17h30.

Charles prit une profonde inspiration.

Le 20ᵉ siècle avait au moins l'avantage de stigmatiser si profondément toute tentative d'analyse psychologique qu'il était à peu près sûr de n'avoir en aucun cas respecté la chaîne du froid de ses propres émotions. Était-ce une bonne chose ? Probablement pas. Sigmund Freud considérerait peut-être même que les lois de l'univers lui promettraient un retour de bâton quelconque au bout du compte — comme, imaginait-il, contracter une sale grippe, ou des questionnements existentiels, ou les deux, à la fin de cette affaire. Il ne savait qu'une chose ; il n'avait pas envie de réfléchir à tout ce qui lui tournait encore dans le crâne comme une essoreuse à salade. L'idée, maintenant, c'était d'agir.

Et puis, s'il se morfondait sur son sort, qui aiderait Ophélie ?

Pas qu'elle soit en danger de mort. Ç'aurait été assez ironique.

Charles croyait aux choix comme d'un vecteur inaltérable de la vie — mêmes les contraintes ont leurs alternatives, et après tout ; il avait décidé très jeune qu'il n'avait qu'une seule existence et qu'il ne comptait pas regretter après coup. Quoique, visiblement, il n'avait pas réellement eu une seule vie et il ne savait pas vraiment s'il pouvait penser à un possible après coup, mais ça ne changeait pas grand-chose. Ce qui importait était de prendre des embranchements de façon lucide et de croire à ce qu'il y aurait derrière. Peu importe les parasites, les grésillements et le vertige assourdissant qui lui enserrait parfois le cœur lorsqu'il se surprenait à réfléchir aux implications de ce qu'il venait d'apprendre. Tout était si simple, après tout ; aider, ou se figer dans la pierre.

Charles avait décidé.

La priorité numéro 1, c'était que cette petite fille retrouve la paix.

« T'es sûr que ça va marcher ? »

La voix de Marie le tira de ses réflexions — il tenta une mimique incertaine, comme pour s'excuser de fonder tout ça sur des sables mouvants. « Ben, je n'ai jamais le moindre souvenir de rêves, ou de...tout ce qu'il y a quand je suis... » il hésita, puis lâcha finalement : « ...mort. La nuit. L'idée, c'est surtout qu'Ophélie, elle, elle s'en souviendra.

— Donc — le plan, c'est d'aider Ophélie ? De...l'autre côté ?

— C'est...ça.

— ...Et de compter sur Ophélie pour réexpliquer ce qui s'est passé quand tu te réveilleras ? »

Charles passa à trois bons kilomètres de réaliser à quel point son plan semblait bancal, alors il sembla se revigorer aux mots de Marie et s'éclaira de ce grand sourire quasi-soulagé qui le caractérisait tellement : « c'est ça. » À ses yeux, l'idée était incertaine, mais ne comportait pas réellement de risques. Et puis...

Crac, clank. La porte du 32, rue du Pont des Champs s'ouvrit sur la silhouette épuisée d'Armande Vuillemin — Charles se tut brutalement et se redressa par réflexe, alors que le tout arrachait un soupir à Marie. C'était peut-être le début de l'après-midi ; la petite rue s'empoissait dans une lumière de fin d'été comme dans de la mélasse et s'agglutinait le long des fenêtres en ce qui ressemblait à des courants translucides de sucre fondu. Le soleil semblait presque sirupeux au-travers des quelques arbres qui bordaient la route. Debout comme des guignols sur le pas de la porte d'entrée, Charles et Marie n'étaient pas bien sûrs de la réaction qu'on allait pouvoir leur opposer.

Les yeux d'Armande Vuillemin avaient cette étrange teinte de fatigue et de résignation qui ne disait jamais rien qui vaille.

« Je...suis désolée, » souffla-t-elle soudain, avant de se passer une main faible sur le visage. « Pour tout. Votre ami, comment va-t-il ?

LE DÉPARTEMENT DES DOSSIERS SURNATURELS - 5, rue ChampeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant