XXII. 𝚃𝚒𝚌, 𝚝𝚊𝚌.

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« Toutefois, mon préféré était Fortunato. C'était un petit elfe joyeux aux drôles de boucles blondes qui aimait jouer à chat entre les tulipes du jardin. Je l'appelais ; le brin de soleil »

Hippolyte Gualtieri, les Quatre Elfes, 1913, page 32



XXII



17h 30, le même jour.


« Ils ont fait quelque chose de mal, les Delisle ?

— Hum ? »

Rasmus releva la tête. Contre toute attente, il tenait actuellement un sandwich dans sa main droite, un au saumon fumé, concombres, fromage à la crème et pousses d'épinards ; sa main gauche reposait dans un linge taché de rouge. C'était secrètement son préféré mais le tout nuisait assez à sa réputation de gothique tourmenté alors il n'en parlait soigneusement pas — néanmoins Marie était au courant depuis bien trop longtemps et il était à peu près sûr que Charles s'en fichait comme de sa première chaussette (peut-être même n'avait-il aucune espèce de notion de ce qu'était censé manger un gothique tourmenté), ...aussi s'était-il à moitié roulé en boule dans un coin pour ronger ledit sandwich, se remettant plus ou moins de ses émotions et de la foutue adrénaline qui lui rendait tout le corps fébrile comme après une chute dans le vide. Rasmus aimait bien se cacher en haut des armoires ou dans les flaques d'ombre. C'était une vieille habitude que plus personne ne trouvait utile de critiquer.

Le médium avait la tête qui tournait, l'impression vaporeuse de surnager au-dessus d'un détail crucial dans la non-douleur qui oubliait de lui pulser jusqu'au cerveau comme au-travers d'une fumée de drogue. Sa main gauche lui semblait détachée de son corps, reposant paisiblement dans le petit tissu éclaboussé de sang. Il n'avait pas mal. On lui avait demandé, et il avait répondu, sans trop savoir si c'était normal. Ils devaient rester, après tout. Ils ne pouvaient pas laisser Jérémie tout seul dans cet état.

Il cligna des yeux, fixant le jeune homme qui était assis par terre, en tailleur, avec ce grand sourire profondément trop rempli de lumière pour la situation, comme un gosse qu'on aurait posé là en lui disant d'être sage. Charles — il commençait à en être de plus en plus convaincu — n'était pas un inconscient, pas, au fond, cette personne qui ne sourirait que par une totale incompréhension de la situation.

...C'était juste difficile de s'en souvenir, par moments.

« Qu'est-ce — qu'est-ce qui te fait penser à ça ? » demanda Rasmus, en s'étranglant brièvement sur son sandwich.

« Je l'ai vu, sur le mur au crucifix. » Expliqua patiemment Charles. « "Myriam Delisle". Il y a toute la rangée des crucifix des Hiljainen, depuis...la fondation du Département. Et au milieu, il y a "Myriam Delisle". Mais son crucifix est à l'envers, donc je trouvais ça bizarre. »

Rasmus se racla la gorge, tentant de déloger une miette de pain noir qui faisait de la via ferrata dans son œsophage. « 'Parle pas des Delisle, si tu veux un conseil.

— Pourquoi ? » Demanda innocemment Charles, ce qui était typiquement une réplique de gosse qui n'aurait pas tellement compris grand-chose au problème.

« Parce que Rasmus est superstitieux et qu'il ne veut pas que ça nous apporte le mauvais œil, » fit soudain une voix féminine depuis l'encadrement de la porte. Charles tourna la tête ; Marie venait de se pencher à l'intérieur de la pièce, mains sur le chambranle. Rasmus soupira. Il ne manquait plus que ça.

LE DÉPARTEMENT DES DOSSIERS SURNATURELS - 5, rue ChampeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant