XXV. 𝙳𝚞 𝚛𝚎𝚝𝚘𝚞𝚛 𝚍'𝚞𝚗 𝚜𝚘𝚞𝚛𝚒𝚛𝚎

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XXV.


« Charles ! »

Ça venait de très loin, à peine le bruit effervescent d'une voix sous des mètres et des mètres de profondeur. Charles n'en eut pas conscience d'abord ; il était trop profond dans ses souvenirs pour vraiment l'entendre au-delà d'un simple remugle sous-marin. Puis :

« OI ! CHARLES ! »

Charles cligna des yeux, s'arrache à la mélasse de l'Hôtel-Dieu comme du fond d'un gouffre. Il ne se souvenait pas vraiment de s'être assis là, en vérité, ni de la nuit qui brouillait ses quasi-aquarelles à l'horizon, ni encore de ces reflets d'indigo qui s'infusaient à même le ciel de Troyes. Un sifflement bizarre lui résonnait dans son oreille gauche, et il se souvint de s'être distinctement demandé pourquoi l'oreille gauche, spécifiquement.

Il eut tout juste le temps de réémerger vaguement qu'une silhouette résolue s'était plantée à côté de lui, les poings sur les hanches, un peu comme une mère vint réprimander son plus jeune fille qui prend trop de temps à la salle de bain en claquant très fort des pieds. La seule chose qui lui vint à l'esprit fut de relever la tête et il se reçut dans l'œil un trait de lune comme une vilaine poussière. Aussi, décida-t-il en définitive de tenter un sourire de travers. Sa peau lui semblait engourdie et un relent de nausée l'empêchait de réellement y parvenir ; il n'était plus bien sûr de se souvenir du protocole musculaire de la chose et son visage le tirait encore, par inertie — un vieux remugle de la sensation de brûlure qui l'avait pris inexplicablement — mais il tenta.

...Le résultat dut être particulièrement peu convainquant car Marie lui jeta un regard qui signifiait clairement qu'il ferait mieux d'éviter ce genre de choses à l'avenir.

Du point de vue de la jeune femme, Charles était assis par terre dans l'ombre de son arbre avec le visage tout pâle et couvert de sueur et aussi l'expression faciale d'un petit chiot trempé qui viendrait quémander du porridge à une porte ; l'image était assez perturbante, il fallait le dire. Hawthorne avait tout juste le temps de conseiller à Marie sur un débit de parole de mitraillette paniquée de ne pas aller crier sur Charles qu'elle avait déjà disparu à la suite du jeune homme en claquant la porte.

Elle ne comprenait pas tout. De l'intégralité de l'équipe, c'était peut-être celle qui avait le plus maintenu une distance avec le bazar sans nom que s'avéraient les vieux dossiers du 5, rue Champeau — Rasmus devait être né entre deux ramettes de ces derniers, Hawthorne les avait écrits et Karadec probablement développé un syndrome de stress post-traumatique à leur contact. Elle ne voyait que l'aspect profondément technologique de la chose ; elle avait étudié les variations de champ ectoplasmique et au fond l'énergie qui pouvait être tirée des morts. Ça relevait de la bidouille, mais ça marchait. Marie s'en assurait toujours.

Tout ce qu'elle savait, c'était qu'on ne laisse pas un ami tout seul comme ça.

Et que ceux qui pensent le contraire sont des abrutis.

« ...Bon. » Elle finit par s'asseoir à côté de son collègue, avec cet air bourru et pourtant compréhensif qui semblait squatter son visage vingt-quatre heures sur vingt-quatre. « La première question, c'est ; est-ce que tu veux en parler. »

Charles sentait le froid de la nuit s'insinuer jusque dans ses os et, au lieu de répondre sur le coup, il resserra un peu ses genoux contre son torse. Il avait la sensation de ressortir d'une noyade — la fébrilité qui lui rongeait crescendo les muscles, une fin de confusion, chaud, froid, — le cerveau en rade. Il réalisa avoir d'inexplicables courbatures ; il n'était même pas vraiment sûr de pouvoir parler correctement tant ses mâchoires s'étaient crispées toutes seules. Et pourtant, malgré tout ça, un morceau de son cerveau avait une clarté presque paisible, comme un ballon qui aurait enfin éclaté.

LE DÉPARTEMENT DES DOSSIERS SURNATURELS - 5, rue ChampeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant