Chapitre 26 - La Patronne

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Apolline ne me facilitait pas la tâche. J'allais devoir me mettre à nue si je ne voulais pas la perdre. Pour ne pas avoir à affronter son regard, j'allais me placer devant la fenêtre, lui tournant le dos. Elle ne me laissait pas le choix. Accepter mes tords, n'était pas suffisant. Elle m'avait déjà plusieurs fois accordé des chances, mais mes démons surgissaient systématiquement. Je n'avais plus droit à l'erreur. Je devais lui donner la preuve que je lui faisais confiance et qu'elle comptait pour moi et pour ça, je n'avais qu'une solution. Alors pour me donner du courage, je prit une grande inspiration et commença :

- Je n'ai jamais été très douée pour les rapports humains. Depuis que l'on est tout petit, ça a toujours été Hadrien le plus sociable de nous deux. Petite, j'avais plutôt un physique ingrat. Les enfants se moquaient de moi, de mon physique et de ma situation. Pendant longtemps j'ai fait preuve de complexe. Je manquais cruellement de confiance en moi. Ma mère m'élevait seule et n'était pas riche et bien souvent je me retrouvais garder par les parents d'Hadrien. Ma mère travaillait tard le soir, faisant des ménages en plus de son emploi de secrétaire, pour m'offrir la meilleure éducation possible. Elle avait quitté son Italie natale avec l'ambition d'avoir une vie meilleure ailleurs et elle se retrouvait fille mère, sans un sous. Elle a sué sang et eau pour subvenir à mes besoins. A huit ans, alors que je ramenais un carnet de note catastrophique à la maison, elle me dit que si je n'étais pas capable de faire mieux alors, je ne méritais pas son sacrifice. J'ai donc grandi dans la culpabilité, me sentant responsable de la situation économique de ma mère. A partir de ce jour,  je fis en sorte de toujours être la meilleure dans tout ce que j'entreprenais. Je me promis également que si un jour, je devais moi aussi construire une famille alors mes enfants auraient un père et une mère et que jamais ils ne connaîtront ce que j'avais connu, l'humiliation et la pauvreté.

Je me retournais vers elle. Elle me regardait sans rien dire, tenant toujours sa bouteille de bière à la main. Elle attendait la suite et son regard bienveillant me rassura. Je repris ma position devant la fenêtre, lui tournant à nouveau le dos et poursuivis mon récit.

- A partir de quatorze ans, mon corps s'est transformé et contre toute attente, la fillette ingrate que j'étais, devint une jolie jeune femme. Très vite, on me remarqua et on me proposa des contrats de mannequin. En l'espace de six mois, je gagnais plus en un mois que ce que ma mère pouvait gagner en un an. J'aurais pu facilement me perdre mais Hadrien et l'éducation exigeante de ma mère m'ont aidé à garder les pieds sur terre. Jusqu'à ce que je rencontre Baptiste. Il était photographe pour les meilleures maisons de grande couture de la planète. Et moi j'étais naïve. Il me disait que j'étais sa muse, qu'il n'y avait que lui pour me sublimer. Petit à petit, il a fait en sorte que ma réussite devienne sa réussite. Mais j'étais follement amoureuse. J'avais tout juste seize ans et à ses côtés, j'avais l'impression d'avoir le monde à mes pieds. J'étais sa reine, il était mon roi. Il m'a fait m'émanciper, me coupant de ma mère et d'Hadrien. Je devenais complètement dépendante de lui. Je parcourais la planète, allant de shooting en shooting. Mon corps ne m'appartenait plus, ma vie ne m'appartenait plus. Mais j'étais follement amoureuse. Je me levais chaque matin dans l'unique but de le rendre fier et de voir ses yeux briller lorsqu'il les posait sur moi. Nous avions une vie folle, dormant chaque jour dans des endroits différents. Et puis à vingt-trois ans, j'eus envie de plus. Ma carrière de mannequin était à son apogée et toutes les maisons de hautes coutures se battaient pour m'avoir et Baptiste était l'homme de ma vie mais je voulais construire la famille dont j'avais toujours rêvé et prendre une revenge sur mon passé. Lorsque je lui en parla, il me dit que je ferai une magnifique mère et qu'il aurait de la chance d'être le père de mes enfants. Alors j'arrêta la contraception et au bout de quelques mois, ce qui devait arriver arriva. J'étais folle de joie. Je me souviens encore du bonheur que j'ai ressenti le jour où je fis un test de grossesse et que celui-ci se révéla positif. Je couru l'annoncer à Baptiste et mon enfer commença. Alors qu'il m'avait dit qu'il voulait être le père de mes enfants, il commença à me dire que j'étais trop jeune pour devenir mère. Que cela allait déformer mon corps. Que nous avions bien trop de contrats à honorer pour le moment. Qu'il fallait absolument que j'avorte. Qu'il fallait que je sois patiente, que nous avions bien le temps avant de devenir parent. Je n'étais pas d'accord avec lui et j'étais épuisée par cette vie de mannequin. J'avais suffisamment gagné d'argent et je rêvais de la vie de madame tout le monde avec un mari à mes côtés et des enfants. Je ne m'en rendais pas compte mais j'étais tombée petit à petit sous son emprise. On a commencé à se disputer de plus en plus souvent et tout était toujours de ma faute. Ma grossesse nous éloignait l'un de l'autre. A un moment, il me fixa un ultimatum. Soit j'avortais, soit il me quittait. Le ciel me tombait sur la tête, mon rêve devenait cauchemar. Alors que je rêvais de construire la famille que je n'avais jamais eue, je reproduisais les mêmes erreurs que ma mère. Alors pour ne pas perdre Baptiste et parce que peut-être avait-il raison, que ce n'était pas encore le temps pour nous de devenir parents, j'acceptais d'avorter. Il prit rendez-vous dans une clinique. Je pensais qu'il m'accompagnerai dans cette épreuve mais il me fit déposer par un taxi. Il me faisait payer mon désir d'être mère et ma prise d'initiative. A ses yeux j'étais la seule coupable. J'acceptais donc mon sort, pour lui, pour nous, pour les futurs parents que nous serions un jour. Une fois l'avortement pratiqué je refusa de rester une minute de plus dans cette clinique qui mettait fin à mon rêve. Je pris un taxi pour quitter au plus vite cet endroit de malheur, cet endroit qui m'avait pris mon enfant. Lorsque le taxi me déposa en bas de chez nous, je me précipitais dans l'escalier pour rejoindre Baptiste. J'avais besoin de ses bras pour me réconforter. J'entrais dans l'appartement et partais à sa recherche. Il était dans notre lit en train de baiser une mannequin russe. Ce jour-là, j'avais tout perdu, ma crédulité, l'homme de ma vie, mon enfant, mes rêves. Je quitta l'appartement et parti le plus loin possible. Je vins ici à New-York où je poursuivis mes études et retrouva un temps mon anonymat. Un an après mon arrivée à la grosse pomme, je créais MD Corporation et reprenais contact avec ma mère et Hadrien. Hadrien me pardonna de suite mon éloignement et ce fut comme si nous n'avions jamais été séparés. Notre complicité était plus forte que jamais. Sans lui, je ne serai pas là ou j'en suis.

La patronne et la rebelle (en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant