Chapitre 8

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NATHANAËL

Le petit bip sonore qu'émet ma montre toutes les heures m'indique que le temps défile bel et bien.

Cela fait déjà un moment que je suis dans cette position. Allongé sur le dos, au centre de mon lit, un oreiller joint contre mon torse. Le plafond vibre à cause de la musique tonitruante qui sort des enceintes bon marché du locataire du dessus. Pourtant, je ne prête aucune attention au tapage nocturne qui se produit là-haut. Mon esprit est trop embrouillé pour ça.

Le visage d'une belle demoiselle en détresse est imprimé sous mes paupières.

Depuis que j'ai quitté cette soirée, je ne cesse de ressasser le cours des événements. Pourquoi a-t-il fallu que le destin nous remette à nouveau sur la même route ? C'est bien ma veine. Venir en aide à la personne qui a manqué de me causer un accident.

Je ne comprends pas comment cette fille que je connais à peine peut réveiller autant d'émotions contradictoires en moi. Des émotions dont je ne veux plus. Des émotions qui sont enfouies sous l'épaisse carapace dont je me suis recouvert. J'ai horreur du remue-ménage que cela est en train de provoquer en moi.

Et puis à cause d'elle, de vieux souvenirs remontent à la surface. Je croyais pourtant avoir tiré un trait définitif là-dessus. J'ai eu tort. Il suffit parfois d'une seule et unique âme pour bouleverser votre monde. Une âme inconnue, dont vous ignoriez jusqu'à l'existence il y a peu.

Une âme que je vais devoir chasser de ma vie.

Une de plus.


14 ans plus tôt :

Le bruit du verre qui se fracasse contre le mur me tire avec violence du demi-sommeil dans lequel j'étais plongé. J'y suis maintenant habitué. Je ne saurais pas dire quand cela a commencé. Tout ce que je sais, c'est qu'aussi loin que je me souvienne, rien n'a changé.

Comme chaque fois que cela se produit, je repousse la couette et m'avance vers la porte sur la pointe des pieds. Le parquet émet un petit craquement, mais les cris qui proviennent de l'étage inférieur couvrent mon manque de discrétion. La main sur la poignée, je l'abaisse avec délicatesse et la maintient toujours en tirant vers moi. La porte est désormais entrouverte. Je tends l'oreille.

Mon père vocifère ses habituelles insultes contre ma mère. Quant à elle, elle se contente de sangloter tout en l'implorant de se calmer. Des frissons hérissent les poils sur mes bras.

Un bruit sec et violent se fait entendre, suivi des plaintes de maman.

Il faut que je l'aide.

Mais j'ai peur, je ne suis pas encore assez grand, assez fort.

Il va encore gagner.

J'ai peur pour maman, elle non plus n'est pas assez forte.

Elle l'est de moins en moins.

Il lui hurle d'arrêter de geindre, puis tout à coup, les cris semblent se rapprocher... je suis tétanisé. Une source de chaleur liquide dévale le long de ma cuisse jusqu'à mes chevilles. Les larmes se mettent à couler, mes membres à trembler. C'est mon tour.

Ses chaussures de sécurité cognent contre les contremarches en bois. Je cours me remettre au lit le plus vite possible, la couette rabattue sur l'entièreté de mon corps, y compris ma tête.

Ma mère lui hurle de me laisser, elle le supplie de faire demi-tour. Tandis que mon cœur bat la chamade, la porte de la chambre percute violemment le mur. C'est trop tard.

Je crie à m'en déchirer les poumons.

Puis le silence m'envahit. Les abîmes prennent pleine possession de moi.

Je me réveille en sursaut, le cœur au bord du gouffre. Une fine pellicule de sueur recouvre mon front et ma nuque.

J'ai besoin d'air, je suffoque.

Je tente de me lever, mais je m'écroule à peine le premier mètre parcouru. Une douleur lancinante me perfore la cage thoracique. Je me recroqueville en boule contre le sol. Des frissons me parcourent de l'intérieur.

1... 2... 3... 4... je tente de reprendre le contrôle.

J'ai mal, mal au corps, mal au cœur, mal à l'âme.

Ces démons cesseront-ils de me hanter un jour ? Ou auront-ils raison de moi ?

Je suis plus que ça, j'ai promis de l'être.

Je vais rebâtir la muraille et y enfouir de nouveau ces émotions. Car, j'ai pris conscience il y a fort longtemps qu'il valait mieux ne rien ressentir. Qu'il fallait être froid et creux afin de survivre. Et pour ça, je ferai ce qu'il faut.

Peu importe l'envergure de la tâche.

Nos cœurs fusillés ( SOUS CONTRAT D'ÉDITION CHEZ ELIXYRIA) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant