ANIL : UN BRIN SUSCEPTIBLE

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Le jeune homme était remonté au sommet de la montagne pour retrouver l'animal et lui offrir de quoi manger. Arrivé dans le nid improvisé, il fut autant époustouflé de la grâce de l'oiseau que la première fois. Il répéta le même stratagème pour se faire accepter : les sifflements puis l'attente de son accord pour s'approcher.

Il déposa les épinards et de petits bouts de carottes à côté de sa tête, ainsi qu'une coupelle d'eau. Et il attendit. Longtemps. Il ne voulait pas partir tant que l'animal n'aurait pas avalé quelque chose, mais sa patience fut mise à l'épreuve, car le Nam-Kha n'esquissa aucun geste pour se nourrir.

— Je ne pourrai te soigner que demain, il faut que j'apprenne... Mais mange déjà ça, ça va te faire du bien.

Face à l'absence de réaction, il se leva et posa une feuille d'épinard dans la paume de sa main, qu'il présenta à l'oiseau. Il s'approcha suffisamment de son bec pour que l'odeur lui parvienne, tout en restant assez éloigné pour s'éviter une sale blessure.

Sous le regard satisfait d'Anil, le Nam-Kha leva la tête. Il regarda le garçon longtemps, renifla les feuilles d'épinard, puis reposa sa tête.

— Quoi ? T'aimes pas les épinards ? Tiens, bois au moins de l'eau.

Il avança la coupelle d'eau sous son bec pour le tremper légèrement. Aussi vif que l'éclair, l'oiseau recula sa tête et lui asséna un coup de bec sur le dos de la main. Le son de la coupelle tombée au sol résonna avec le cri de douleur d'Anil.

Le coup n'avait pas été très intense, pourtant Anil avait obtenu un bon aperçu de la puissance des Nam-Kha. La peau de sa main était arrachée à l'endroit où la pointe du bec avait tapé, le privant de quelques gouttes de sang, et la partie qui avait été frappée par la base du bec était déjà ankylosée. Il pesta ; une douleur aiguë lui parcourut le bras au bout de quelques secondes.

— Tu m'as fait mal ! se plaigna-t-il en se massant le bras.

L'oiseau baissa légèrement sa tête sur le côté.

— J'essaye juste de t'aider ! Si tu continues comme ça, je te laisse pourrir ici !

Il continua quelques minutes à pester sur le comportement de l'animal et sur sa blessure en faisant les cent pas dans la grotte. Tout à coup, l'oiseau se déplaça légèrement et lécha l'eau sur le sol. Anil comprit.

— D'accord, plus de coupelle.

Pour lui, c'était quand même une petite victoire. Il voulut revenir vers l'oiseau, mais ce dernier lui tourna le dos et leva son aile gauche de sorte qu'Anil ne puisse plus le voir ni s'approcher.

— Tu me fais la tête ?

L'animal ne bougea pas une seule plume. Est ce qu'il est vraiment sensible à mes paroles ?

— Bon... Désolé de m'être emporté ! Mais tu m'as fait mal, il n'y a pas que moi qui doit gérer ma colère ici ! Si tu m'as sauvé, c'est que tu as dû sonder mon âme, non ? Alors tu dois savoir que je ne te ferai jamais de mal.

Le Nam-Kha pivota pour regarder le garçon droit dans les yeux. C'était la première fois qu'il distinguait aussi bien son regard, et il était perturbant. En étudiant ces animaux, Anil avait toujours su qu'ils étaient puissants et intelligents, mais il ne s'attendait pas à ce qu'ils dégagent autant de charisme et de sagesse.

L'immense aile blanche se rabaissa, réouvrant le passage entre lui et l'oiseau. Il faut que je fasse attention la prochaine fois, il m'a l'air un brin susceptible.

— Je vais te laisser te reposer. Je reviendrai demain pour soulager ta douleur !

De retour sur la montagne, il fut surpris de voir une nuée de Nam-Kha voler dans le ciel. Le mélange de toutes ces couleurs était un véritable spectacle pour les yeux. En les analysant, il devina assez rapidement Tashi, perché sur son oiseau vert. En position d'alpha, il volait au-dessus des autres pour prévenir des dangers. Sur ses ordres, tous les Nam-Kha bifurquèrent vers l'est en effectuant un rouleau et en accélérant : on appelait ce geste une torpille. Anil en avait rêvé pendant des mois, lorsque Tashi leur avait montré pour la première fois.

Sonam était vite repérable sur son oiseau rouge vif, mais il restait éloigné, ne semblant pas participer au mouvement. Tous les membres de sa faction étaient présents, sauf lui et Kinaï, qui avait raté sa cérémonie. Il ressentit une douleur dans sa poitrine et entama sa descente vers le Temple.

Plus tard, après avoir mangé, s'être lavé et avoir soigné sommairement sa blessure à la main, il entra dans sa chambre pour attendre le retour de ses amis. Il passait le temps en jouant aux cartes avec Kinaï, quand le reste de leur faction arriva. Ils étaient tout sourire et jacassaient à propos de leur entraînement.

À leur arrivée, Kinaï se précipita pour leur poser des milliers de questions, mais Anil restait en retrait ; il ne voulait rien entendre. Sonam le remarqua et alla s'asseoir à ses côtés.

— Gyi...

— J'ai vu vos torpilles, c'était super ! Pourquoi tu ne l'as pas fait ?

— Je ne peux pas avec ma hanche, je n'ai pas assez de force pour m'accrocher suffisamment. Mais j'ai effectué les vols stationnaires et les pointes de vitesse, c'était incroyable ! On a l'impression que les cieux nous appartiennent quand on est là-haut ! J'ai hâte que tu découvres ça, toi aussi !

La gorge d'Anil se serra et il préféra ne pas rebondir sur cette phrase.

— Et la vision panoramique ?

Un grand sourire illumina le visage de Sonam.

— Elle est encore un peu floue, mais ça sera plus net dans quelques vols. Et toi, raconte-moi ta journée !

Le jeune homme hésitait à tout raconter à son ami. Sonam n'avait pas pu participer à l'entraînement à cause de sa hanche, donc par sa faute. Il devait se concentrer sur sa guérison et ses exercices. De plus, s'il lui parlait du Nam-Kha blanc, Sonam insisterait pour qu'Anil suive les règles et prévienne Tashi. Et ça, pour l'instant, c'était inenvisageable.

— Je n'ai rien trouvé. Mais j'ai rendu visite à ma mère et à ma sœur, ça m'a fait du bien.

Sonam écarquilla les yeux et se redressa.

— Ah, comment va Tenzin ? Elle a parlé de moi ?

— Oui, elle a dit que tu étais le pire patient qu'elle ait traité et un idiot fini, répondit Anil, en se retenant de rire.

Sonam voulut le frapper pour ce coup bas, mais le plus petit esquiva sa claque et se mit à courir dans la chambre en sautant de lit en lit pour lui échapper. Le reste de la troupe se joignit à eux et s'en suivit une des plus grosses parties de courses poursuites qu'ils n'aient jamais faites.

Les ÉmergésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant