Les Émergés

ALAÏS : ELLE N'EST PAS BONNE À GRAND CHOSE

— Pour information, ton nez n'est pas cassé, affirma Alaïs à Naveen tout en le nettoyant.

— Tant mieux, j'aurai eu beaucoup moins de charme avec un nez tordu !

Il lui souriait chaleureusement tandis qu'Alaïs levait les yeux au ciel, blasée par tant de confiance en soi.

Riya les observait attentivement pendant que sa sœur Trisha guettait la porte, paniquée à l'idée que quelqu'un puisse les entendre.

— Si quelqu'un arrive maintenant, on est morts ! chuchota-t-elle.

Ses deux amies ne prirent même pas la peine de répondre. Il n'y avait aucune raison que quelqu'un entre par cette porte sans y être invité, et Devika était très occupée dans les cuisines.

— Je vais devoir aller me préparer pour le banquet... commença Alaïs en s'adressant à Naveen. Je reviendrai dès que je peux. En attendant, cache-toi bien.

— Pourquoi tu vas au banquet et pas elles ? demanda-il avec un signe de tête en direction des deux sœurs.

— Parce que le Roi a besoin de moi là-bas, je travaille dans la salle. Et ne fais pas n'importe quoi pendant mon absence, mes amies se mettent en danger pour te rendre service.

La brune n'avait pas envie qu'il connaisse son statut de « princesse ». Elle savait que cette fonction avait une connotation négative et voulait éviter qu'il ait des aprioris qui le fassent changer d'avis sur son utilité. Elle avait souvent été désignée comme celle pour qui tout était plus facile, celle qui n'avait pas le sens du travail, qui ignorait tout de la vie. Mise à l'écart à cause de son statut, de peur qu'elle ne divulgue des informations à la royauté, ou bien tout simplement par jalousie. Alors, dès qu'elle le pouvait, elle se présentait uniquement comme étant Alaïs, une Imeulte comme les autres. Enfin, presque.

— N'oublie pas de me ramener un petit quelque chose à grignoter ! répondit le jeune homme.

Riya pouffa et la cadette s'indigna. Cette dernière chercha le regard de son amie pour se rassurer, mais Alaïs était tellement préoccupée qu'elle partit sans se retourner.

Elle s'obligea à enfiler son sari rouge, celui qu'elle portait pour ce genre d'occasion. Elle n'en avait qu'un, puisque les visiteurs ne se bousculaient pas au portillon. Ce drapé était enroulé autour de son corps avec délicatesse, dévoilant tout de même une partie de son ventre nu. Les motifs brodés avec du fil doré étincelant capturaient la lumière et la faisaient scintiller. Le tissu soyeux glissait avec grâce à chacun de ses mouvements, flottant sur son corps comme s'il avait été fait pour elle, ce qui ne faisait que renforcer sa beauté.

Elle se para de ses plus beaux bijoux, qui, dans sa culture, importaient plus que sa tenue. En enfilant son imposant collier en or, elle pensa immédiatement à sa mère. C'était son préféré et, au terme d'un harcèlement rondement mené, elle avait fini par lui donner. Sa mère non plus n'aimait pas ce genre d'évènement, mais elle y assistait avec toujours beaucoup de grâce, car elle estimait que c'était nécessaire pour que le royaume maintienne ses bonnes relations avec l'extérieur.

Aujourd'hui, c'était à Alaïs de prendre la relève et de rendre son père fier. Enfin, autant qu'il pouvait l'être. Elle entendit les cloches sonner l'ouverture des portes ; Varun et ses valets étaient arrivés.

Allez, souffle un bon coup, sors ton meilleur jeu d'actrice et en un éclair, ce sera terminé. Demain, tu seras loin d'ici !

Alaïs repéra l'invité de loin, avec son turban rouge et sa moustache bien dessinée. Accompagné de sa femme et d'un serviteur, il embrassa bruyamment le Roi et lui tapota l'épaule d'un air amical. Lorsqu'Alaïs s'avança, il lança sur la jeune femme un regard lubrique qui la mit instantanément mal à l'aise. La jeune femme croisa celui de son épouse qui resta stoïque. Malgré elle, les yeux d'Alaïs glissèrent ensuite jusqu'au moignon qui remplaçait la main gauche de Varun, et elle s'obligea à regarder ailleurs, préférant oublier les souvenirs qu'il réveillait en elle.