Il est malheureux d'habiter un château immense et d'être réveillée par le bruit de ma famille qui, a priori, vient d'entamer une bonne dispute à en croire les cris de ma mère.
Je tourne et retourne dans mon lit avant de me rendre à l'évidence : je ne me rendormirai pas car je suis bien trop curieuse et légèrement fauteuse de troubles pour rester éloignée de toute dispute. En plus, on est dimanche, et le dimanche, ma mère a mis en place une tradition qui consiste à ce que toute la famille partage son petit déjeuner. Ce serait, soit disant, le meilleur moyen pour renforcer notre cohésion et nous souder, comme pense ma chère mère. Elle a la fâcheuse tendance à s'imaginer que ses petits scénarios de ce genre vont marcher, alors que je n'ai encore jamais pris part à un de ces petits déjeuners dominicaux et qu'elle n'a jamais fait venir personne pour me chercher.
Toutefois, aujourd'hui est un nouveau jour, alors je me lève, enfile mon sweat noir oversize, et sors de ma tanière. Tout est immensément grand chez moi, pas seulement ma chambre, mais aussi le couloir qui conduit à l'escalier principal. En l'empruntant, je croise Elvira, la femme de mon frère, qui fait une entrée pour la moins fracassante. Sa chambre est voisine à celle de mon frère, qui est face à la mienne. J'entends ses reniflements avant même de la voir débarquer, ses beaux yeux bleus rougis et gonflés, ses épaules tressautant sous les sanglots.
Je n'aime pas Elvira et ne l'ai jamais aimée. C'est pourquoi, je ne cache pas mon plaisir à la voir dans cet état, lui offrant mon sourire le plus narquois. Elle éclate encore plus en sanglots et se met à courir, ce qui la fait trébucher sur le tapis avant d'aller s'enfermer dans sa chambre. À la minute même où cette fille est arrivée en France, elle n'a fait que pleurer. Et ça va faire bientôt huit ans qu'on se la coltine chez nous. Huit ans que mon frère essaye de jouer son rôle de mari sans y arriver. Vive les mariages arrangés.
Je retrouve ma famille dans un des plus anciens boudoirs de notre propriété, celui ayant appartenu à la reine Thérèse. C'est la pièce préférée de ma mère. Elle n'a rien d'incroyable, si ce n'est sa vue sur la forêt et le ruisseau qui traverse le jardin. Être dans cette pièce est sûrement un moyen pour ma mère de se sentir un peu reine, elle qui ne le sera jamais. Jamais je ne pourrais oublier ce jour du 3 mai, lorsque mon père a annoncé à la France entière qu'il n'irait pas sur le trône. Mon père est une bonne personne, mais faire ce coup-là est probablement la chose la plus incroyable qu'il ait faite. J'étais entre ma mère et mon frère, derrière les caméras. Il nous avait dit qu'il devait s'exprimer au nom de mon grand-père, le roi de France. On pensait tous qu'il allait dire des choses banales, qu'il allait faire un rapport sur l'état du pays étant donné qu'il ne nous avait rien annoncé de particulier. Or, il n'a rien fait de tout ça. À la place, il a fait un coup d'éclat qui était tellement beau qu'il en a fait perdre connaissance à ma mère pendant quelques minutes. En entendant que mon père laisserait le trône à mon frère, sans y poser ses fesses, Florentine est tombée sur Tristan comme une feuille morte. Evidemment, mon frère était bouche bée, non pas à cause de ma mère, mais du fait que son accession au trône allait être beaucoup plus rapide que ce qui était initialement prévu. C'était mieux comme ça, car je reste persuadée que mon père n'aurait pas fait un bon roi. Il est bien trop gentil et généreux pour être à la tête d'un pays.
Moi non plus je ne ferai pas une bonne reine, sauf que moi, contrairement à mon père, je ne suis pas maîtresse de mon destin. Je le subis, et croyez-moi, c'est loin de me réjouir.
Les domestiques me saluent en faisant leurs courbettes habituelles tandis que je leur fais un signe de la main. Ma mère est maintenant en train d'hurler, empêchant mon pauvre frère d'en placer une. Il n'y a que mon père qui me remarque lorsque je fais mon entrée. Assis sur son rocking-chair préféré, il boit son thé comme s'il assistait à une pièce de théâtre. Je ne le dirai jamais assez, mais mon père est génial. Pas très causant, mais il est quand même génial.
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Edesse tome 1 Jeunesse Royale
RomanceEt si les familles royales n'avaient jamais cessé d'exister ? Et si tous les pays avaient des monarchies parlementaires à leurs têtes ? Et si pour renforcer les liens entre les pays, les rois et les reines constituaient des accords de mariages secre...