La compétition est annoncée dans quelques minutes.
Nous sommes arrivés il y a quelques jours à St Denis, au village olympique, avec ma famille et mon entraîneur. La cérémonie d'ouverture a été magnifique. Un spectacle à couper le souffle, mélange de couleurs et de son, qui ont laissé mon cœur transit d'espoir et de bonheur. Cela fait plus de trois ans que j'ai quitté la France et je la retrouve avec plaisir, dans des conditions absolument incroyables. Évidemment, j'ai eu vent des débats et polémiques entourant la tenue des jeux à Paris : la pollution de la Seine, les coûts exorbitants de construction des stades et autres espaces sportifs, la mauvaise humeur des parisiens face à l'augmentation des prix du transport et la modification du sens de circulation. Malgré cela, rien n'est parvenu à entacher mon bonheur à l'idée d'être là, ici, dans mon pays, prêt à participer à l'une des compétitions que j'attends avec impatience, plaisir et angoisse mêlés, depuis les jeux de Tokyo.
Sur le bateau de la délégation française, j'agitais mon drapeau, un sourire aux lèvres, imaginant déjà mon frère et mes parents en train d'hurler leurs encouragements du haut des gradins quelques jours plus tard. Pour la plupart des français, je suis un inconnu. Pourtant, j'ai déjà vu quelques journaux mentionner mon nom, indiquant que je m'étais inscrit à de nombreuses compétitions, et me qualifiant déjà « d'ovni ».
J'ai hâte de leur prouver ce dont je suis capable.
Et justement, c'est bientôt le moment...
Encore quelques minutes...
— How do you feel ?
Je relève la tête et mon regard croise celui de Bob, mon entraîneur et coach. Je lui confirme que tout va bien, je me sens prêt. L'adrénaline court dans mes veines, mon cœur pulse à plusieurs centaines de battements minute, et je dois seulement me calmer, et me concentrer, pour faire redescendre ces pulsations. J'ai hâte d'être dans l'eau, de nager, de profiter de la course. Quand je nage, rien ne peut plus m'arrêter. Je me sens vivant, chez moi, à ma place. Le silence m'entoure, je deviens un poisson. C'est plus facile sous l'eau. En dehors, les angoisses et la crainte de l'échec m'assaillent, je repense mille fois à la stratégie que nous avons établie : ne pas perdre de temps, anticiper, prendre de l'avance, rester calme. Je suis entouré par les meilleurs nageurs de ma génération, le moindre faux pas pourrait me coûter la médaille.
— We aim for gold, nothing less. You can beat Michael's record. I trust you.
Je lève le pouce. Oui, on vise l'or, rien de moins. Mon coach ne cesse de me le rappeler. Il a confiance en moi, comme Michael, qui m'a d'ailleurs envoyé un message sur WhatsApp hier soir, avant que j'aille me coucher. J'ai très peu dormi, la nuit a été courte, ma récupération n'est pas la meilleure. Mais ça ira, ça doit aller.
— Are you ready ?
— I'm ready.
C'est parti. Je me lève et jette un dernier regard sur la call room. Il s'agit d'une salle d'attente, où nous attendons la course, avant qu'elle ne soit annoncée. Je me suis qualifiée ce matin pour la finale, l'heure est venue de prouver ce dont je suis capable. Avant de rejoindre les bassins, des officiels font leur entrée dans la salle. Ils nous saluent un à un, distribuent des encouragements, rappellent les règles, puis nous appellent pour vérifier nos équipements. Je laisse tomber mon manteau, dévoilant ma combinaison parfaitement moullée à mon corps, et m'avance vers eux. Un homme vient me palper (je grimace, car l'exercice n'est pas le plus plaisant), il s'assure que mon maillot de bain et mon bonnet respectent les règlements.
— Vous pouvez y aller !
Je remercie l'officiel et quitte la call room, direction les bassins. À peine ai-je mis le pied à l'extérieur que l'air frais s'engouffre sur ma peau, me faisant frissonner. J'avais oublié que l'air de Paris n'est pas celui de l'Arizona. C'est l'été, mais il fait frais. J'entends déjà les hurlements qui résonnent dans l'Arena, les cris de mes parents et de mon frère – qui surpassent à eux seuls ceux du public qui ne me connaît pas encore -, et leur retourne un petit signe. Mon petit frère, Oscar, porte une pancarte avec ma tête dessinée dessus, c'est un peu flippant ! Je lui fais un clin d'œil, puis reprend un air sérieux. Rien ne doit me déconcentrer.
Bob m'a déjà indiqué où je dois me placer, je rejoins donc la zone de départ, aux côtés des autres nageurs de plusieurs nationalités. Là, je commence à m'échauffer : rond de bras, frappe sur le torse, ronds de jambes. N'allez pas croire qu'il s'agit d'une danse triviale et virile, je sais que j'ai l'air ridicule, mais je dois réchauffer mes muscles. La concentration est maximale. J'inspire, expire. Le stress ne doit pas m'atteindre, l'angoisse doit s'éloigner.
Tout va bien se passer.
— M. Marchand, souhaitez-vous boire avant la course ?
Étonné que l'on s'adresse à moi maintenant, je me retourne, prêt à envoyer paitre la personne qui me déranger pour savoir si je souhaite boire dans un moment pareil, et me retrouve face à des yeux d'un bleu océan, si particulier, que je crois m'y noyer. Mon cœur, qui venait juste de ralentir, se remet à battre frénétiquement, augmentant mon palpitant.
Seigneur, non ! Pas ça ! Pas maintenant.
— Je...
Trouve quelque chose à dire, Léon ! Dis à cette fille de s'en aller.
La fille ne bouge pas. Elle porte le t-shirt des bénévoles estampillés des anneaux olympiques et continue de me dévisager avec ses deux billes bleues, un sourire plein d'attention sur les lèvres, une bouteille d'eau à la main. Je n'ai pas soif, mais j'accepte quand même, juste pour pouvoir effleurer ses doigts, et avale une gorgée.
En lui rendant la bouteille, je m'apprête à lui demander son prénom, mais un bip sonore se met à retentir et mon visage, ainsi que ceux des autres nageurs, se retrouvent placarder sur des écrans géants.
La fille disparaît, comme les autres bénévoles qui l'accompagnaient, distribuant leurs bouteilles d'eau et s'assurant que nous sommes prêts.
Je secoue la tête, reprend mes frappes pectorales, mes respirations. Plus qu'une minute avant le départ.
Le chrono affiche moins de 30 secondes avant le départ.
Le souvenir des yeux bleus et du visage de cette bénévole me reste à l'esprit.
Bip !
20 secondes.
Je la chasse de mes pensées.
J'ai 20 secondes pour me reconcentrer.
J'abandonne mon idylle naissante, me rappelle mes sacrifices des dernières années, me replonge dans ma stratégie, mes heures de travail, mon amour des bassins.
J'inspire, expire.
— Start signal !
Bip !
L'épreuve est lancée...
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Le rêve olympique : Léon Marchand & la bénévole
RomanceApolline est bénévole sur les jeux olympiques de Paris quand elle fait la connaissance de Léon Marchand, juste avant qu'il ne concoure pour le 400m 4 nages. De compétition en compétition, la jeune bénévole et le nageur le plus prometteur de sa génér...