Chapitre 13 - Le prix de la célébrité (Léon)

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— J'imagine que c'est le prix de la célébrité.

Je ris, mais je ne suis pas très rassuré. La célébrité, ce n'est pas quelque chose que je recherchais. C'est même une chose qui m'inquiète. Hier, mes amis de, à Toulouse, m'ont appelé pour me dire que de nouvelles inscriptions avaient lieu dans mon club de natation. Des jeunes de tout âge veulent nager grâce à moi. Cet aspect-là me plait, je suis ravi de donner envie, cela m'encourage à continuer. Par contre, l'idée d'être pris en photo à mon insu (peut-être un jour suivi dans la rue ?) et de voir ma vie privée étalée dans les journaux ne me plaît pas du tout.

J'aimerais juste boire un verre avec Apolline et vivre ma vie comme je l'ai toujours vécu. Après des années à travailler pour mes études et nager, sans avoir du temps pour moi, en sacrifiant ma vie sociale et amoureuse, j'ai seulement envie de renouer avec les passe-temps d'un jeune de mon âge.

Et Apolline est une jolie façon de passer mon temps.

Elle est drôle, pétillante, jolie. Elle ne me regarde pas comme une célébrité, mais comme une personne normale. Est-ce que c'est parce qu'elle est la fille d'un médaillé olympique ? Tony Estanguet n'est pas n'importe qui, elle a peut-être déjà eu son lot de journalistes et de célébrités, qui sait !

— Et voilà pour vous.

Le serveur pose nos boissons, je le remercie et tend un billet. Apolline pose alors un billet de 10€ devant elle et me fait signe que c'est son tour. J'accepte, bon joueur. Elle attrape ensuite son verre et lance :

— Je te propose qu'on fasse comme si les journalistes n'étaient pas là !

Plus facile à dire qu'à faire, mais OK.

— Alors, Léon, qu'est-ce que tu fais dans la vie ? reprend-elle.

— Je nage et je fais des études d'informatique.

— Ah! Un informaticien. Intéressant. Moi qui pensais que la natation était toute ta vie.

J'éclate de rire.

— Oui, c'est vrai, mais il faut toujours une porte de sortie quand on est sportif.

Au lycée, c'est ce qui m'a motivé à ne rien lâcher et m'accrocher. Malgré les entraînements quotidiens, matin et soir, je continuais à réviser mes cours. C'est grâce à ça que j'ai décroché mon bac S avec mention très bien. Mes parents m'ont toujours dit que si le sport était ma priorité, je devais garder à l'esprit qu'une carrière peut s'arrêter aussi brutalement qu'elle a commencé. On est jamais à l'abri d'une blessure.

— Et toi ? enchaîné-je.

— J'étudie les lettres, je veux devenir prof.

— Je suis sûr que ça t'irait bien.

Elle a déjà un petit air autoritaire.

— Tu vis à Paris ? enchaîné-je.

Ça fait très speed-dating tout ça !

— Oui. Avec mes deux frères, hélas. Jacks est au lycée, Marius en première année de droit. À ce propos, Jack voudrait un autographe de toi.

Je promets de le lui en signer un juste après.

— Et toi, tu as un frère, c'est ça ?

— Oui, mais je le vois peu depuis que je suis en Arizona. Pourtant, je l'adore. On s'appelle souvent.

— Tu aimes être là-bas ?

— Oui, mais c'est différent de la France, et mon pays me manque parfois. Mais au moins, je parle anglais.

— La chance, je suis nulle en langue.

Tout type de langue ? Je n'ose pas demander.

— J'y suis vraiment parti pour pouvoir suivre l'entraînement avec Bob, continué-je.

— Pourquoi lui ? demande-t-elle.

— « Si tu veux devenir le meilleur, choisis le meilleur et donne-toi à fond » disait mon père. Je me souviendrais toujours de mon exaltation, en voyant Michael Phelps remporter 5 médailles d'or au JO de Rio, en 2016. Ce jour-là, je me suis fait la promesse de l'égaler, voire de le surpasser (même si bon, soyons réaliste, vu son palmares, et vu qu'il a obtenu de nombreuses médailles en relais, cela me parait quand même inatteignable). Cela dit, si je voulais au moins faire semblant d'y arriver, il me fallait son entraîneur.

— Et tu y es arrivé.

Oui, c'est vrai. Je me revois, ado, devant la télé de mes grands-parents, le cœur battant. C'est ce jour-là que j'ai décidé que la natation serait ma vie.

— J'imagine que tu as vécu ça toi aussi, lancé-je l'air de rien.

Ses sourcils se froncent. Je m'empresse de préciser :

— Avec ton père. C'est un grand athlète français.

— Je savais que tu me parlerais de mon père.

Elle soupire. L'ai-je contrariée ?

— Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu étais la fille de Tony Estanguet ?

— Parce qu'avant d'être la fille du président du comité, je suis Apolline, bénévole, étudiante, passionnée de lecture. Pas juste la fille de Tony, comme tu n'es pas juste Léon, le nageur, la célébrité.

— La célébrité ! N'exagérons rien.

Et j'espère bien ne pas être juste ce Leon là à ses yeux.

Nous continuons à échanger sur divers sujets. Cela me fait du bien de parler d'autres choses que des JO et de la natation. Vers 19h30, elle me propose d'aller prendre un sandwich à la boulangerie, et de rentrer ensuite. Je dois me coucher tôt, j'ai une compétition de relais mixte, 4x 100m demain. Nous mangeons notre sandwich sur un banc, l'un à côté de l'autre.

Cette fille me plait. Le fait qu'elle ne s'intéresse pas qu'à moi en tant que nageur me fait quelque chose. Sa joie, sa façon de répondre, sa fougue, m'attirent. Plus j'apprends à la connaitre, plus je discute avec elle, et plus j'ai envie de continuer.

Juste avant de monter dans le taxi, je ne peux résister à poser mes lèvres sur sa joue. Elle rougit, se tourne vers moi, effleure ma main.

— C'est pour quoi ça ?

— Te remercier pour cette fin d'après-midi.

Elle continue de rougir en souriant.

J'ouvre la porte du taxi, galant et la laisse passer.

En refermant la porte, j'ai juste le temps d'apercevoir les deux journalistes de tout à l'heure et de me dire « Qu'est-ce que j'ai fait ? ».

Le rêve olympique : Léon Marchand & la bénévoleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant