9.1. La forêt : Ana

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Le petit groupe quitta très tôt la ferme de Leptène. Ana et Dlyss s'étaient préparées en toute hâte, si pressées qu'elles étaient de se rendre enfin aux dolmens. Elles étaient les premières arrivées dans le hall d'entrée du bâtiment principal. Elles y avaient patiemment attendu Edlyfia et ses guérisseurs.

Diplos les avait aperçues alors qu'il se rendait aux granges. Ana lui avait adressé un sourire, qu'il lui avait timidement rendu. La princesse regrettait de l'avoir si durement jugé au premier regard. Il n'avait pas eu autant de chances qu'elle, et ne méritait pas que l'on se moque ainsi de lui ou de son physique. Surtout maintenant qu'elle savait qui était son père.

Ana espérait que Leptène ne demeurerait pas trop longtemps en leur compagnie. Elle ne ressentait véritablement aucune sympathie envers le représentant agricole. Diplos semblait avoir tiré le meilleur parti des cartes que lui proposaient sa destinée. Lorsqu'elle avait partagé ses pensées à son amie, celle-ci s'était doucement moquée d'elle :

"Tu trouves des qualités à tous ceux te couvrant de compliments !"

Elle n'avait pas tout à fait tort. On s'était tant obstiné à imposer à la princesse une voie royale que quiconque l'encourageait à vivre selon ses propres critères trouvait grâce à ses yeux.

Heureusement, Edlyfia décréta qu'ils emporteraient leur déjeuner sur la route. Elle mordit avec passion dans une berlotine. Une traînée de sucre lui dessina une moustache blanche. Dlyss éclata de rire et Ana s'essuya d'un revers de manche.

"Tes poils blanchissent, te voilà une véritable elfe !"

Pour une fois, Ana sentit son cœur se serrer à l'entente de la plaisanterie de son amie. Elle n'avait jamais développé son mal-être auprès de Dlyss, et elle était persuadée que Belos ne lui avait pas répété. Elle ne lui en tenait donc pas rigueur, mais la réflexion la vexa et elle se tût pendant de longues minutes. Elle sentait le regard de sa garde du corps se tourner régulièrement vers elle avec inquiétude, mais elle ne posa aucune question. Ana la remercia en pensée ; elle n'aurait certes pas voulu expliquer son ressentiment en présence d'Edlyfia.

Enfin, les premiers arbres apparurent à l'horizon. Ceux-ci appartenaient encore au royaume elfique, sa seule et unique source de bois. Ils étaient trop espacés pour constituer une forêt, ce qui avait permis cet arrangement. Dans le décret officiel, la forêt toute entière appartenait au peuple Forester.

Ana tendit la main et cueillit une pomme. Elle la frotta contre le tissu intérieur de sa cape afin de la faire briller. Elle était d'un rouge presque orangé, avec des taches jaunes. Elle ne ressemblait pas à celles qui emplissaient les paniers de fruits lors des banquets du palais, toujours uniformes, toujours parfaites.

Ana sourit devant l'objet de sa cueillette qui présentait une bosse près de la tige. La jeune fille sentit qu'elle n'en serait que plus délicieuse et croqua avidement dans la chair juteuse. Merveilleusement sucrée... Dlyss observait son amie et devant son sourire se décida à l'imiter. Bien que plus petites que d'ordinaire, ces pommes étaient véritablement succulentes... Une fantastique conclusion à leur petit-déjeuner trop hâtif.

Et puis l'herbe sous les sabots de leurs chevaux devint de plus en plus haute, le chemin disparut brusquement et l'agencement des arbres perdit toute cohérence. Ana ouvrit grand les yeux, cherchant à capturer en mémoire tout ce qui l'entourait.

Rien ne ressemblait à ses espérances. De toutes les possibilités qu'elle avait fantasmé, aucune n'était si menaçante que ces ténèbres qui avait brusquement enveloppé le monde autour des voyageurs. Il fallut beaucoup de patience et de frissons pour que le regard de la sang-mêlé s'habitue enfin à la pénombre et puisse observer les silhouettes tortueuses des arbres centenaires qui dominaient tout autour d'elle.

Le cycle du Früshtà : Genèse des légendesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant