12.2. Le brasier : Jack

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"Vous ne profitez pas du spectacle mes fils. Vous parlez trop."

Jack baissa la tête. Il aurait volontiers cessé d'observer le brasier si cela lui permettait de passer un instant en famille plus traditionnel, mais il ne voulait pas blesser son père.

"Pardon...

-Vous êtes déjà tout pardonné. Mais vous devez montrer l'exemple à nos courtisans."

Tristan s'était complètement refermé et Jack sentit une pointe de tristesse atteindre son cœur. Il se reprocha de se montrer si sentimental. Tristan n'avait jamais rien fait pour lui et pourtant il était prêt à tout pour une conversation. Il se força à observer la fête à ses pieds. Il fronça les sourcils. Un attroupement bloquait le passage des porteurs de cadavres.

"Père ?

-Oui mon fils ?

-Que se passe-t-il là-bas ?"

Hans décrocha son regard de l'empilement de membres en flammes pour chercher ce que son dernier-né lui désignait.

"Je l'ignore..."

Jack sentit toute la colère de son père dans ces quelques mots. L'hôte de la soirée se dressa et poussa un hurlement tel qu'il couvrit à la fois les cris du public et l'égosillement des victimes.

"Qui ose ainsi troubler la cérémonie ?"

La cour toute entière se figea et se tourna vers les dissidents qui encombraient le passage. Jack les reconnut. Un léger frisson lui parcourut l'échine. Il ne sut déterminer si c'était de dégoût ou de fierté. Un mélange des deux probablement...

Martin. Le palefrenier.

Portant l'un des prisonniers que Jack avait défiguré.

"Eh bien jeune homme, pourquoi t'arrêter ainsi ?"

Mais Martin ne répondit pas. Il n'accorda pas même un regard à son souverain. Ses dents inférieures étaient exposées à la lumière du monde offrant un spectacle atroce à quiconque croisait son chemin. Les os de sa mâchoire jaillissaient au travers de ses joues transpercées. Il était comme brûlé au plus puissant degré. Un véritable visage de mort-vivant...

Et le sacrifié qu'il transportait n'était pas dans un meilleur état. Ses os tordus avaient par endroit perforé sa chair, et il avait ainsi perdu toute consistance. La masse informe d'un corps dégoulinant entre les bras de l'apprenti dresseur.

Personne n'osait plus prononcer le moindre mot. Jack se tourna vers son père. C'était anormal qu'il demeure ainsi silencieux. Hans lui-même semblait perturbé. Jack craignit d'avoir commis une erreur et enfonça son visage entre ses épaules, tâchant de se faire le plus petit possible. La main de Tristan se posa sur son épaule. Il secoua négativement la tête, comme pour le mettre en garde. Il se dressa ensuite de toute sa hauteur et Jack comprit le message.

Il ne devait pas paraître faible, jamais, et encore moins dans un moment pareil... Il se dressa, ce qui le plaça plus haut que son frère dont le regard s'assombrit d'une manière presque imperceptible. De cette façon, Jack dominait le monde, et c'était là sa place. Auprès de l'empereur, au-dessus des autres mortels.

Mais Hans n'avait toujours pas parlé. Leïla prit la situation en main :

"Que t'arrive-t-il jeune homme ? Pourquoi ne remplis-tu pas ton rôle en jetant ce corps difforme au brasier du purgatoire ?"

Martin l'ignora pendant une fraction de seconde, avant de poser le cadavre au sol à ses pieds. Il l'allongea de sorte qu'il ressemble le plus possible à un homme.

Le cycle du Früshtà : Genèse des légendesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant