Chapitre 8

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J'ai passé la journée à donner des interviews pour différents médias, et ils n'ont pas arrêté de revenir sur la réflexion de Jean la veille. La plupart des gens trouvent sa réflexion extrêmement sexiste, et cela a permis d'ouvrir un débat profond sur la place des femmes dans notre société et dans la politique. Ce n'était pas prévu, mais c'est devenu un sujet brûlant.

- Permettez-moi de vous poser une dernière question, un peu plus personnelle, si vous le voulez bien, mademoiselle Mettignon ?

La journaliste en face de moi est douce, et toutes ses questions jusqu'ici ont été très pertinentes et enrichissantes, alors j'acquiesce.

- Je trouve que toutes ces rumeurs sur vous et Monsieur Moran soulèvent une question très intéressante. Beaucoup de nos lectrices nous ont écrit pour nous poser cette question. Pensez-vous qu'il est possible d'aimer quelqu'un dont les convictions politiques sont diamétralement opposées aux nôtres ?

Sa question me frappe comme une gifle. Pas parce qu'elle est déplacée, mais parce que c'est une question que je me suis souvent posée moi-même. Je prends un moment avant de répondre, pesant soigneusement mes mots.

- Vous touchez un point sensible et délicat. Aimer quelqu'un dont les convictions politiques diffèrent des nôtres peut être extrêmement compliqué. D'un côté, l'amour et la connexion émotionnelle ne se basent pas uniquement sur la politique. Mais de l'autre, nos idéologies sont souvent le reflet de nos valeurs les plus profondes. Vivre avec quelqu'un qui ne partage pas ces valeurs peut créer énormément de conflit. Je pense que la clé réside dans la capacité à se respecter mutuellement et à dialoguer ouvertement. Mais, honnêtement, je ne suis pas sûre que cela suffise toujours.

- Merci beaucoup pour votre réponse honnête, Olivia.

Je lui souris avant que la caméra ne s'éteigne.

Je retourne vite à l'hôtel pour me préparer pour la cérémonie de ce soir. Nous sommes plusieurs à participer à ce gala de charité, et bien que la fatigue me pèse, je sais que ma présence est importante.

Je saisis une longue robe en satin bleu ciel dans mon armoire et attache mes longs cheveux bouclé en un chignon légèrement décoiffé. Avant de sortir, je me regarde une dernière fois dans le miroir, plisse la robe avec mes mains pour éliminer les plis et ajoute une paire de boucles d'oreilles avant de me mettre en route.

En arrivant sur place, je suis frappée par la grandeur des lieux. Je m'attendais à un petit gala sans prétention, mais je me retrouve dans une immense salle luxueusement décorée, remplie de personnes habillées avec élégance. Ma robe de seconde main, bien que jolie, fait tâche face aux créations haute couture que les femmes portent ce soir.

Dans un coin de la pièce, un pianiste joue sur un piano à queue majestueux, accompagné d'une chanteuse qui tient un micro avec grâce. C'est étrange de voir que malgré le monde présent dans cette salle, personne ne semble prêter attention à eux, comme si ce spectacle faisait simplement partie du décor.

Je sirote un verre, essayant de m'imprégner de l'atmosphère, lorsque Julien vient s'installer à côté de moi. Il regarde également le pianiste.

- Comment va ta main ?

Hier, il a insisté pour que j'aille demander au bar de l'hôtel de la glace pour que je puisse en mettre sur ma main. Je ne pouvais pas croire que j'en étais arrivée là, mais la douleur était bien réelle.

- Ça va un peu mieux, merci.

- J'ai eu Lou au téléphone tout à l'heure. C'est elle qui a manigancé le coup de l'avion. Elle a pensé que ça me ferait plaisir, et à toi aussi.

Je ne peux m'empêcher de sourire, amusée par son plan ingénieux.

- Eh bien, on peut dire qu'elle a de l'imagination.

- Pour une raison que j'ignore, elle t'apprécie beaucoup.

Je souris face à cette révélation.

Soudain, une mélodie douce parvient à mes oreilles. C'est une chanson que je connais très bien, jouée au piano. Je sors mon téléphone pour filmer un extrait.

- L'Hymne à l'amour d'Édith Piaf. Je ne pensais pas que tu écoutais ce genre de musique.

- C'était la musique préférée de mon père.

Je range mon téléphone dans mon sac à main et me tourne vers lui.

- Depuis sa mort, j'entends cette musique très souvent, sans le vouloir. Je prends ça comme un signe qu'il m'envoie de là-haut.

Il me regarde avec un sourire tendre, un sourire que je n'arrive pas vraiment à cerner. Je ne sais pas pourquoi je lui ai partagé ça, mais c'est sorti tout seul.

- Il avait très bon goût. Il doit te manquer énormément.

Je hoche la tête en guise de réponse, les yeux à nouveau tournés vers la chanteuse qui termine sa chanson.

- Et si on mettait un peu d'ambiance à ce gala ? Je m'ennuie à mourir.

- Je pense que c'est peine perdue. Regarde tous ces gens, ils ont l'air beaucoup trop coincé.

- On parie ? demande-t-il d'un air joueur.

Je le regarde, intriguée. Il se dirige alors vers les deux musiciens, leur murmure quelque chose à l'oreille avant de leur tendre un billet. Je les observe, curieuse, et les vois échanger un sourire complice avant qu'il ne revienne vers moi.

Il attrape ma main et m'entraîne au centre de la salle, alors que les premières notes de "This Will Be" de Natalie Cole commencent à résonner.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Il est temps de relâcher un peu la pression, tu ne crois pas ? Dit-il en me prenant par la main et en se mettant à danser de manière exagérée, presque ridicule.

Je ne peux pas m'empêcher de rire devant l'absurdité de la situation, mais je réalise vite que son petit plan a fonctionné. Peu à peu, les invités délaissent leurs verres sur les tables hautes et commencent à nous rejoindre sur la piste de danse.

Il me regarde, haussant les sourcils comme pour me dire "Je te l'avais dit."

Nous passons la chanson à danser comme deux idiots, mais je dois avouer que cela fait un bien fou de lâcher la pression, même l'espace d'une simple chanson.

Lorsque la musique prend fin, les gens applaudissent et se réjouissent d'avoir pu partager ce moment. Pendant ce temps, Julien et moi restons figés au milieu de cette effervescence, nos regards coincés l'un dans l'autre, une tension palpable s'installant entre nous.

L'idéologie du coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant