Chapitre 11

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Nous sommes tous rassemblés au bureau. Les résultats du premier tour vont tomber dans quelques instants, et je ne peux m'empêcher d'espérer. Je le sais, le parti de Julien et le mien sont les deux favoris lors de cette élection, mais une partie de moi ne peut s'empêcher de douter, de ne pas croire en moi.

- Comment tu te sens, ma belle ?

Ana me rejoint, un verre à la main.

- J'ai l'impression que je vais tomber dans les pommes.

Elle éclate de rire.

- J'en connais plusieurs ici qui seraient ravis de te réanimer. Dit-elle avant de porter son verre à ses lèvres.

Je la bouscule légèrement en riant à mon tour, ce qui me permet de me détendre un peu.

- En parlant du loup... murmure-t-elle.

Léon, l'un de nos collègues, nous rejoint.

- Je ne sais pas pour vous, les filles, mais j'ai l'impression que je vais m'évanouir si je dois attendre une minute de plus pour les résultats.

Ana et moi explosons de rire sous le regard perplexe de Léon, qui ne comprend rien.

- Chut, attention, ils vont annoncer les résultats ! crie une voix à l'autre bout de la pièce.

« Il est 20 heures, voici les résultats des élections législatives pour ce premier tour, et c'est le parti "Tous Solidaires" qui arrive en tête avec 34 % ! »

Je sens mon cœur bondir dans ma cage thoracique, et un brouhaha énorme retentit dans la salle. Léon se jette sur moi et me prend dans ses bras en me faisant tournoyer, tandis qu'Ana applaudit comme une folle.

Des journalistes prennent des photos et je ne peux retenir une petite larme de joie qui coule sur ma joue. Je pense à mon père et je sais qu'il serait si fier de moi en ce moment, mais étrangement, je pense aussi à Julien. Je ne peux m'empêcher de me demander s'il est heureux pour moi ou, au contraire, s'il est contrarié par ma victoire. Mais mes pensées sont vite effacées par Ana, qui m'entraîne au bar pour fêter ça.

- Je n'en reviens pas d'être en tête après le premier tour, ça me semble irréel.

- Et pourtant ça l'est ! Tu le mérites tellement, ma Oli. Tu mérites tout ce qui t'arrive. Tes causes sont nobles et essentielles pour notre pays, et les gens l'ont compris. Les Français ont enfin compris que ce Moran et ses idées étaient horribles et insensées.

C'est vrai que les idées politiques de Julien étaient en total désaccord avec les miennes, mais est-ce que cela faisait de lui une personne abominable ? Je n'ai pas de réponse à cette question, et pour ce soir, je ne veux plus penser à lui, mais penser à moi.

Nous nous installons au bar, entourées par l'effervescence de la soirée. Des visages familiers viennent me féliciter : des collègues, des partisans, même des inconnus qui partagent mon enthousiasme. Chaque verre levé en mon honneur, chaque sourire échangé, me rappelle que ce moment est le mien. C'est une victoire, une étape cruciale dans ma carrière, un aboutissement pour lequel j'ai travaillé sans relâche.

Pourtant, malgré l'euphorie ambiante, une petite voix à l'arrière de mon esprit murmure le nom de Moran. J'attrape mon téléphone machinalement, le glissant discrètement hors de mon sac.

Rien. Pas un message, pas un appel.

Pourquoi n'a-t-il pas pris la peine de m'envoyer un message, même un simple « félicitations » ?

Je glisse le téléphone dans mon sac, décidée à ne pas me laisser troubler par son absence. La soirée continue, les rires résonnent autour de nous, les verres s'enchainent , et Ana, toujours aussi enthousiaste, me raconte des anecdotes drôles sur la campagne, essayant de me faire oublier, l'espace d'un instant, toutes les tensions.

- Oli, tout va bien ? Tu as l'air un peu ailleurs.

- Oui, tout va bien, c'est juste... beaucoup d'émotions d'un coup, tu sais.

Elle me fixe, scrutant mon visage. Elle sait que quelque chose me tracasse, mais elle n'insiste pas.

- Allez, viens, on va danser !

Je me laisse entraîner sur la piste de danse, essayant de me laisser porter par la musique, de me perdre dans le moment.

Je rentre très alcoolisée chez moi et me jette sur mon lit, tentant de calmer ma tête qui tourne.

Par un élan de motivation, j'attrape mon téléphone pour composer le numéro de Moran. Ça sonne plusieurs fois, et chaque sonnerie me semble interminable, allongée sur mon lit, avant qu'il ne réponde enfin.

- Allô, Olivia ? Est-ce que tout va bien ? Pourquoi m'appelles-tu si tard ?

Sa voix est inquiète, tendue, comme s'il savait que cet appel n'augure rien de bon.

- Je te déteste. Dis-je d'une voix tremblante, l'alcool et la colère se mélangeant pour rendre mes mots plus tranchants.

- Pour pas changer. Répond-il.

- Tu n'as même pas eu la décence de me féliciter. Répliqué-je, sentant la rage monter en moi. Est-ce que c'est si difficile d'être un peu fair-play ?

Il soupire, et je l'imagine se passer une main dans les cheveux, comme il le fait toujours quand il est frustré.

- Olivia, je suis encore en réunion avec mon équipe. C'est la pagaille ici, on essaie de comprendre ce qui s'est passé, comment on a pu perdre autant de terrain. Ce n'est pas que je ne voulais pas te féliciter, c'est juste que...

- Que quoi ? le coupé-je, ma voix chargée de rancœur. Que tu ne supportes pas l'idée d'avoir perdu contre moi ? Que c'est trop pour ton ego ?

Il se tait, et je sens sa frustration traverser le silence.

- C'est seulement que... tu sais combien cette campagne était importante pour moi, pour ce que je défends. Je suis encore en train de digérer ce qu'il s'est passé.

- C'est plus fort que toi, hein. Tu ne peux même pas être heureux un minimum pour moi, même après ce qu'il s'est passé entre nous. Tu es tellement pris dans ta propre défaite que tu n'as même pas pensé à ce que cette victoire signifiait pour moi.

Il y a un long silence, puis enfin, d'une voix plus douce, plus fragile, il murmure :

- Tu as raison. Je suis désolé, Olivia. Ce que tu as accompli est incroyable. Et je le pense vraiment.

Ses mots, si inattendus, me prennent de court.

- Tu... tu me félicites vraiment ?

- Bien sûr, je suis fier de toi, Olivia. Vraiment fier. Peu importe ce qu'on pense politiquement, ce que tu as accompli est remarquable. Tu as gagné cette bataille et je suis désolé de ne pas avoir été là pour te le dire plus tôt.

Mon cœur se serre, mais cette fois, ce n'est plus de colère. C'est un mélange de soulagement et d'émotion.

- Merci, Julien. Ça compte beaucoup pour moi.

- Je suis content que tu m'aies appelée, même si c'était pour me dire que tu me détestais. plaisante-t-il, et je peux presque l'entendre sourire de l'autre côté de la ligne.

Je ris doucement, sentant une vague de réconfort m'envahir.

- Je suis contente aussi. Bonne nuit, Moran.

- Bonne nuit, Mettignon.

Je raccroche, cette fois le cœur plus léger, avec la sensation que, malgré tout, peut-être que nous pourrons trouver une façon de faire fonctionner les choses entre nous.

L'idéologie du coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant