La nuée de souvenirs - 19

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Sans rien dire, je passe devant mes deux acolytes et reprends l'arme laissée de côté. Je me replace face aux mannequins puis me prépare mentalement.

Je commence à viser Isabella. Dès que je croise son regard de papier glacé, sa voix nasillarde résonne dans ma tête. Ses échanges avec Paola et la manière dont elle s'est servie d'elle me reviennent en tête accentuant ma haine pour elle. Lorsque le souvenir d'Isabella tuant de sang froid Valentina ressurgi, j'inspire profondément et tout en calmant les battements de mon cœur, je vise sur le mannequin à son effigie et tire en plein cœur puis à la tête. J'arrive péniblement à me contrôler pour ne pas trouer de toute part la silhouette de résine puis baisse mon arme et expire me rendant compte que je ne respirais plus.

Je fais une pause de quelques secondes pour me calmer et reprendre le dessus sur mes émotions, n'ayant pas envie d'échouer face à Raphaël.

Même si je sais que ce n'est pas réellement lui, le satisfaire d'une victoire imaginaire ne m'est pas envisageable. Il a trop de fois pris l'ascendant sur moi me traitant comme une moins que rien. Je n'ai qu'une envie, faire de son mannequin une charpie.

Je sais que je prends cet entraînement bien plus au sérieux et à cœur que je ne le devrais, considérant cet échauffement comme les prémices de ma vengeance face à lui.

Si je parviens à le tuer là, alors que je suis face à mon plus grand ennemi, moi, je sais que quand le moment arrivera et que nous serons réellement face à face, je saurai presser la détente et lui régler son compte à jamais.

Plus qu'un simple mannequin, il est la clé de ma réussite pour l'avenir.

Je me mets en position de tir et vise droit entre les deux yeux. Sans prévenir, le souvenir de notre échange houleux au sujet des cendres d'Orfeo prend vie. La détresse que j'avais ressentie à ce moment s'empare petit à petit de mon corps et me fait légèrement vaciller mais je me reprends.

Mon pouls s'accélère et ma colère pulse dans mes veines. Mes mains tremblent sous la fureur qui bouillonne en moi alors je baisse mon arme. Je ferme les yeux pour me maîtriser puis je fais des exercices de respiration pour calmer mes battements de cœur.

Cela prend plus de temps que prévu.

Les souvenirs des échanges avec Raphaël tout au long de ma relation avec Ezio, se bousculent et se percutent les uns contre les autres me paralysant dans ma quête de calme. L'image de Raphaël exposant un sourire triomphant sur son visage dissipe immédiatement mes pensées tourmentées. Je reprends le dessus, la seule pensée de le vaincre et de le mettre à terre animant mon esprit.

Je relève l'arme, le vise et tire. Cette fois, je ne parviens pas à me contrôler et vide mon chargeur dans sa tête. Tout en continuant de tirer, j'avance et crie pour extérioriser ma rage envers lui. Je ne m'arrête qu'une fois le chargeur vide et le canon pressé contre la fausse tête de Raphaël. Essoufflée, je regarde mon œuvre gisant à mes pieds suite à mes tirs et souris face à ma victoire.

— Va pourrir en enfer sale merde !

Satisfaite et apaisée, j'entends la voix d'Andy percer le silence qui s'était installé.

— Wouhou ! Bravo tu lui as bien arrangé le portrait à ce fils de pute !

Je me retourne vers elle et lui envoie un grand sourire triomphant qui s'estompe vite quand je vois qu'Andrea a la tête baissée, une main devant le visage, les doigts massant son front.

— Andrea il y a un problème ? demandé-je en redoutant la réponse.

— Ce n'est pas vraiment un problème. D'abord c'est très bien que tu aies réussi à prendre le dessus sur tes émotions, bravo mais évite de vider ton chargeur sur l'un de tes ennemis. De un, parce qu'ensuite si tu rencontres d'autres ennemis tu es foutue et de deux, toute la maîtrise de toi-même est gâchée. Si tu te remets dans cet état hors entraînement, tu deviens vulnérable. Le temps que tu te remettes de tes émotions aussi satisfaisantes ou tourmentées soient elles, les autres ennemis, s'il y a, trouveront ta faille et s'y engouffreront sans te donner l'opportunité de te ressaisir. C'est très dangereux pour toi. Là c'est jouissif, dans une bataille réelle c'est mortel. Tu dois par tous les moyens et dans toutes les circonstances garder ton sang froid et le contrôle de toi-même. C'est juste une piqûre de rappel, mais sorti de ça bravo car tu es arrivée avec brio à te dominer. Tu dois rester sur cette voie pour exceller.

Tiraillée entre fierté et réprimande je lui adresse un sourire pincé puis me baisse pour remettre en place le mannequin.

Je retourne sur mes pas et me place aux côtés d'Andrea face à l'armée de résine.

— Tu t'en sors très bien May. Je me dois juste d'être exigeant et pointilleux pour t'amener à l'excellence c'est tout. me rassure-t-il une main sur l'épaule pour me réconforter.

— Merci, je sais que tu veux mon bien. lui réponds-je en souriant.

Je me reconcentre sur les mannequins. Face à moi, trois personnes qui ont compté dans ma vie. Le choix est dur mais je ne peux me résoudre à commencer par Ezio ou Nonna. C'est donc par défaut que je me concentre sur Paola.

Une nuée de souvenirs afflue tel des oiseaux qui noircissent le ciel de leur passage. D'abord des bons, nos fous rires lors de nos sorties, nous dansant et chantant à tue-tête lors de la soirée d'anniversaire d'Andy, son réconfort et son soutien lors de la convalescence d'Ezio, notre amitié sur laquelle personne n'aurait misé mais qui était l'une des plus belles que j'ai connu.

Puis doucement les mauvais assombrissent la belle toile qui venait de se tisser. Comme de l'encre qu'on aurait renverser et qui vient se répandre sur une feuille immaculée de blanc. Sa vie qu'elle n'a jamais pu vivre à cent à l'heure à cause de son père, la marionnette qu'elle est devenue à cause d'Isabella et la fin tragique qu'elle a connu par ma faute. Son corps inerte sur le sol de la cuisine me revient en mémoire et me glace le sang. Malgré ses mots qu'elle a laissé après sa mort, ma culpabilité ne me quitte pas et s'agrandit à mesure que tous ces souvenirs rejaillissent. Cette fois c'est contre moi que ma rage est dirigée. Je me hais pour avoir entraîné la mort de Paola et ne me le pardonnerai jamais.

Ma fureur et ma culpabilité s'emparent de moi et me font dérailler. Machinalement sans rien contrôler, je porte l'arme à ma tempe. Je ne supporte plus toute cette tourmente qui s'empare de moi à chaque visage et chaque souvenir qu'elle fait remonter. Je ne me sens pas légitime d'être encore en vie alors que j'ai fait autant de mal autour de moi. 

Le Phénix- Renaissance [TOME 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant