Phénix et le dernier Dragon - Tome 2, Les Veilleurs

Secrets bien gardés (Chp 6-4)

L'homme bourru posa finalement le fusil dans un coin du cabanon, et se dirigea vers une étagère. Il s'empara d'une bouteille et d'un verre, puis, les posa en silence sur la petite table. Il versa une belle louche du liquide dans le contenant et s'effondra sur sa chaise, avant de jeter son chapeau à l'autre bout de la pièce, sur un vieux matelas qui croupissait à même le sol.

— Alors comme ça, vous connaissez ce vieux bougre de Tsaha.

Phénix, Seth et Larry se lancèrent un regard d'incompréhension.

— C'est bon, gamins, baissez les bras. J'vais pas vous faire sauter le bourrichon aujourd'hui.

Ils s'éxecutèrent, toujours perplexes. Finalement, Phénix se lança :

— C'est effectivement Tsaha qui nous a ammenés jusqu'ici. Comment vous le connaissait ?

— Parce que ce gros sac à vin m'a aussi fait voyager jusqu'ici, y a bientôt dix ans de celà, lança-t-il.

— Vous venez des États-Libres, vous aussi ? Souleva Larry, le visage se détendant.

— Eh ouais mon p'tit gars. De Cold Rock. Quand je suis parti, ça commençait vraiment à partir en cacahuètes à cause de l'autre decerebrée à la gouvernance de cette foutue ville.

— Vous parlez de la Monarque ?

— Monarque, Monarque... C'tin bien grand mot pour décrire cette vulgaire créature. Apparement y a des jeunes qui ont finit par lui faire la peau.

Il prit une grande gorgée de son breuvage et lança un regard noir à Phénix :

— D'ailleurs, la gamine qui l'a achevée est décrite comme toi. Brune, cheveux ondulés, yeux verts, un petit air nonchalent, et un corps squelettique, dit-il en portant son verre en direction de Phénix.

— Vous n'avez pas vu la vidéo qui circule partout ? Demanda-t-elle, dubitative.

— T'as bien vu qu'avait pas d'télé, ici. Puis très honnêtement, j'en ai pas grand chose à carrer de c'qui s'passe ailleurs qu'ici. Les seules infos que j'ai, c'est quand j'croise quelqu'un quand je vais chasser. Autant t'dire que j'suis pas très à jour de c'qui s'passe dans l'monde. Mais mon p'tit doigt me dit que toi, t'es bien au courant des faits.

Ni une, ni deux, Seth dériva sur un autre sujet :

— Vous veniez de Riven District je présume.

— C'est là que tu te trompe, gamin.

Il se redressa sur sa chaise.

— J'vivais à Brightenway. J'ai même travaillé pour cette sorcière. C'était pas beau à voir. J'ai été gentillement mis à la porte quand j'ai découvert qu'elle avait fait une énorme connerie qui risquait de la faire exécuter par l'alliance des cinq cités. Ils ont posé mes bagages à la sortie de la ville, et j'ai du me démerder sur la route pendant un sacré bail. Puis, je suis tombé sur Tsaha. Vous connaissez la suite.

— Une énorme connerie qui risquait de la faire exécuter ?

Phénix rebondit sur cette phrase, et se déplaça rapidement jusqu'à être en face de son interlocuteur, laissant pour seul obstacle, la table qui les séparait.

— Une sombre histoire d'expérience.

L'inconnu semblait ne pas vouloir trop en dire. Il cracha ses mots, et eut aussitôt l'air de regretter ce qu'il avait dit.

— On est au courant pour les expériences sur les humains, souligna Seth, se rapprochant également.

— Des expériences sur les humains ? Mon grand, c'était bien pire que ça.

La pièce sembla se figer alors que les révélations de l'homme pesaient lourdement dans l'air. Phénix, Seth et Larry échangèrent des regards chargés de questions et de préoccupations. L'inconnu se frotta le menton, les yeux plissés, mesurant ses mots avant de reprendre.

— Pire que des expériences sur les humains ? Qu'est-ce que ça peut être ? lança Seth, l'incrédulité teintant sa voix.

L'homme avala une nouvelle gorgée de son verre avant de le reposer avec force sur la table, le liquide tremblant sous l'impact. Il s'accouda et soupira profondément.

— Les expériences... Elle ne se limitaient pas seulement au corps humains. Avec un groupe de chercheurs restreint, elle a tenté de manipuler l'ADN d'animaux et de le mélanger avec celui des Hommes.

— Quelle horreur... Mais pourquoi aurait-elle fait une chose pareille ? Reprit Larry, abasourdi par ces révélations.

— Elle voulait créer une armée d'humains avec des capacités surréalistes. Bien évidemment, ça a échoué. Mais ce qui est devenu grave, c'est lorsqu'elle s'est mise à faire ça sur des nourrissons.

— Oh mon dieu... souffla Phénix, une main devant ses lèvres froides.

— Je vous avait dit qu'elle était pas commode cette gonzesse. Et donc, quand j'ai découvert ça, ma première réaction a été exactement la même que la votre. J'ai tenté de lui parler, en vain. J'ai été forcé de signer un contrat à la con pour survivre, parce qu'elle savait qu'elle avait violé le traité de l'alliance.

Seth récita la partie du traité qui parlait de ce sujet :

— Aucune manipulation génétique à visée militaire ne sera tolérée, et toute infraction sera punie par l'exécution immédiate du responsable et des complices, récita Seth, la voix tendue.

L'homme acquiesça en silence, son visage marqué par des années de lutte intérieure. Phénix sentait son cœur battre à tout rompre. L'angoisse avait fait place à une colère sourde.

— Comment avez-vous pu vivre toutes ces années dans le silence ? S'indigna-t-elle avant de reprendre, Vous auriez pu dénoncer ses agissements ! Vous auriez pu vous battre pour qu'elle soit évincée !

L'inconnu baissa les épaules et détourna le regard. C'était la première fois depuis leur rencontre qu'il ne semblait pas dépourvu d'humanité.

— J'avais pas trop le choix, gamine. Je me suis caché parce que j'avais peur. J'avais pas de femme, pas de gosses. Cette responsabilité était trop lourde pour mes épaules. Et puis, l'alliance est solide, intouchable. Est-ce qu'ils l'auraient cru elle, grande Monarque de Cold Rock, ou bien le vieux bonhomme du sixième sous-sol ?

Phénix soupira. Il n'avait pas tord. Qui sait ce qu'il serait advenu de lui s'il avait osé dénoncer ces actes immondes.

L'homme se racla la gorge nerveusement, et acheva son verre d'un trait, laissant dégouliner un peu du liquide sur sa comissure ridée. Il passa sur sa bouche d'un revère de la main et pinça les lèvres.

— Vous pouvez rester pour la nuit, mais demain vous devez partir. Je vous donnerai de quoi vous déplacer. Au fait, je m'appelle Nathan.

Sur ces mots, il se leva de sa chaise, se dirigea vers le matelas pour ramasser son chapeau, et le vissa sur son crâne grisonnant, avant de claquer la porte.