Sadio, le père de Rokia, manque de s'évanouir ; il n'en croit pas ses yeux. Les policiers de la ville le maintiennent sur pied, lui murmurant des paroles rassurantes qui ne parviennent pas à le calmer. Depuis une heure, il cherche désespérément une solution, scrutant chaque visage dans la foule pour y trouver un éclat d'espoir. Mais ils savent tous qu'ils ne peuvent rien faire. À deux doigts de sauter dans l'étang pour récupérer sa chère fille, il se sent perdu, vidé de toute force.
Pendant ce temps, Rokia, loin de se douter de la détresse de son père, poursuit son périple dans les abysses, découvrant avec fascination une facette inattendue de la ville sous-marine. Elle observe des êtres étranges aux têtes disproportionnées par rapport à leurs corps : des hommes-poissons, des hybrides humains... Il y a de tout ici. Cependant, un détail attire son attention ; ces créatures n'ont pas l'air très heureuses, et une sorte de tristesse silencieuse plane sur la foule.
Soudain, des hommes-poissons à la peau jaune et noir, avec des mains argentées et un corps difforme, se tournent vers elle et la fixent intensément, comme s'ils évaluaient la situation. Après quelques minutes de silence, ils commencent à chuchoter entre eux, échangent des regards perplexes, puis la saisissent par la main avec une poigne implacable.
Terrifiée, Rokia en tremble, incapable de refuser leur emprise, sentant la tension qui émane d'eux. Sa méduse la suit, elle aussi visiblement réticente.
— Qu'est-ce que vous faites ? Je ne vous connais pas ! s'exclame-t-elle, la voix tremblante.
Les hommes-poissons ne répondent pas. Ils flottent si vite qu'ils semblent en colère, propulsés par leurs nageoires avec une force et une rapidité qui terrifient Rokia. Elle n'ose pas résister, la peur lui nouant la gorge.
À peine arrivée à destination, Rokia est émerveillée par ce qu'elle voit : des toboggans flottants où des jeunes s'amusent, insouciants, des bancs qui disparaissent dès que quelqu'un se lève, ne réapparaissant que lorsqu'on pose la main dessus. Elle est également fascinée par les algues dorées qui envahissent le parc, vibrant sous les rayons lumineux des abysses.
Curieuse, elle tente d'attraper une algue, mais celle-ci disparaît instantanément, laissant une légère brume dorée entre ses doigts. Elle reste stupéfaite, mais les hommes-poissons n'en ont pas fini avec elle.
— Comment se fait-il que vous ne soyez pas au travail ? rugit l'un d'eux, d'une voix rauque.
Rokia ne comprend pas ce que ces créatures lui reprochent, mais il semble qu'ils la prennent pour l'une des leurs. Elle tente d'expliquer sa situation, balbutiant des mots confus, mais elle est interrompue par une voix autoritaire.
— Vous ne vous rendez pas compte à quel point il est grave de ne pas aller travailler ! C'est obligatoire ! Regardez vos camarades ! Ils se battent pour nos aînés, vous ne pouvez pas y échapper.
— VOUS N'ÊTES PAS ICI POUR GLANDER ! Mettez vite vos tenues et allez travailler ! hurlent-ils encore, l'entraînant sans ménagement.
La jeune fille, déboussolée, se fait hurler dessus alors qu'elle n'a rien demandé. Les hommes-poissons la conduisent vers un endroit sombre où se trouvent des tenues pendues, toutes identiques. Cet endroit est occupé par une créature immense, mélange de baleine et de dragon, qui inspire la terreur à Rokia.
Chaque minute révèle de nouvelles créatures inimaginables, songe-t-elle, abasourdie. Cet être étrange a des cheveux bleus, une bouche démesurée, et des mains minuscules qui rendent son discours presque comique.
Le lieu est baigné d'une lueur froide, rempli d'objets étranges qu'elle n'a jamais vus auparavant. Sur des étagères en triangle, s'entassent des squelettes de poissons, des coraux argentés, un crâne d'aspect indéfinissable et de la nourriture d'un aspect infect qui la dégoûte. Elle a l'impression d'être dans un magasin de farces et attrapes plus que dans un centre de travail.
— Encore une jeune qui a perdu sa tenue. Tenez, prenez soin de vos affaires la prochaine fois ! grogne la créature.
Rokia aimerait comprendre cet endroit. Pourquoi tous ces jeunes sont-ils obligés de travailler ? se demande-t-elle, perplexe.
— Euh... attendez, je ne vous connais pas ! Vous n'êtes pas avec moi ? s'exclame soudain un représentant, visiblement responsable des jeunes.
L'homme, qui semble dans la quarantaine, est très grand, avec des yeux verts perçants et une barre sur le cou remplie d'opales multicolores. Rokia tente de lui expliquer sa situation.
— J'ai été emmenée ici de force ! Je ne comprends pas pourquoi je suis ici ! dit-elle en détail, relatant son étrange descente dans les abysses, depuis les algues jusqu'à son arrivée dans ce lieu inconnu. Elle décèle une lueur de compréhension dans les yeux de cet homme, qui commence à la tutoyer avec une familiarité rassurante.
Soudain, il remarque l'opale verte incrustée dans le cou de Rokia, et son expression change aussitôt. Il semble comprendre, enfin.
— Écoute, moi aussi je viens de la ville ! lui révèle-t-il d'un ton réconfortant.
Elle n'aurait jamais imaginé rencontrer quelqu'un comme elle dans ce monde subaquatique. Enfin, elle n'est plus seule. L'homme se présente :
— Ça fait deux ans que je suis dans les abysses. Vous êtes les seuls à pouvoir nous faire sortir de là. Je suis ravi de te rencontrer, je m'appelle Cincotti. Je vais te présenter ton camarade avec qui tu seras liée.
Tout va trop vite pour Rokia. D'un côté, elle est soulagée de trouver quelqu'un qui lui ressemble, mais de l'autre, elle ne comprend pas bien tout ce que cet homme lui dit. Pourtant, elle décide de lui faire confiance et de se laisser guider.
Avant de lui présenter la personne qu'elle doit rencontrer, Cincotti lui explique la raison de sa présence dans ce centre :
— Vous, les jeunes, devez travailler pour les personnes âgées. Ici, pour vivre et respirer, il faut des opales, et pour les obtenir, il faut travailler. Malheureusement, à un certain âge, on ne peut plus fournir d'efforts. C'est pour éviter un trop grand nombre de décès parmi les seniors.
Il lui explique, presque solennellement, que par solidarité, les jeunes participent à cette quête d'opales pour subvenir aux besoins des aînés. Ils peuvent en garder la moitié pour eux, ajoute-t-il avec un sourire complice.
Rokia n'en a pas besoin, car elle possède une opale verte spectrale qui lui permet de respirer sans ingurgiter la moindre pierre. Cette dernière commence à réaliser la chance qu'elle a. Cette pierre verdâtre m'a sauvé la vie, se dit-elle. Sans elle, elle ne serait plus de ce monde.
Cincotti va chercher le jeune avec qui elle doit faire connaissance. Quelques minutes plus tard, un adolescent apparaît, accompagné d'une pieuvre dorée. Rokia est surprise : elle a l'impression de l'avoir déjà vu quelque part. L'adolescent, avec une tache violette sur le visage semblable à la sienne, a des cheveux noirs, un air calme, et des yeux sombres.
Il s'approche, et à cet instant, tout devient clair pour elle : c'est lui ! Sa mère l'avait reçu un jour dans son cabinet. Le garçon porte dans sa trachée une opale pourpre, identique à la sienne.
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Opales des Abysses
FantasyRokia, une jeune fille curieuse, assiste à la foire annuelle des jeux de son quartier. Alors qu'elle participe à différents jeux, elle finit par remporter un prix inattendu : une méduse dorée, un animal aquatique étincelant et mystérieux, enfermé da...