Chapitre 15

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Comme une impression d'avoir quitté un monde pour en arriver à un autre, la forêt des abysses s'étend devant eux, grandiose et énigmatique. Le groupe progresse prudemment, à la recherche d'une solution pour contrer le danger constant des opales spectrales. Ce changement de décor, où l'étrangeté se mêle à la beauté, leur permet enfin de reprendre leurs esprits.

— Normalement, ici, il n'y aura pas de gardes pour nous embêter, assure Cincotti, en observant autour de lui.

En avançant, ils croisent des individus errants, des humains comme eux, qui semblent complètement perdus. La forêt des abysses se dévoile dans toute sa splendeur irréaliste : des arbres aux branches dégarnies, pillées par des chasseurs d'opales en quête de gemmes précieuses. Des buissons en forme de gouttes d'eau surgissent, disproportionnés face aux algues géantes. De petites étoiles de mer se cachent dans ces buissons, fuyant les dangers qui les guettent. Sous leurs pieds, le sol s'anime en une rivière d'eau rose orangée. Ils atteignent un carrefour grouillant de vie, où des gens se pressent pour aller travailler et remplir leurs quotas mensuels d'opales.

— Regardez par là, murmure Cincotti en essayant de retenir l'attention des trois adolescents.

Il sort une carte, dépliée pour montrer un emplacement spécifique : là où réside l'impératrice, dans un manoir distant. À l'œil nu, tout semble si loin, presque inaccessible.

— Il va falloir faire attention, poursuit-il, car les gardes sont à votre recherche. L'impératrice sait que vous êtes à Doussou.

En examinant la carte, Rokia remarque que celle-ci est incomplète ; une partie a été arrachée. Sur la partie visible, elle distingue le manoir de l'impératrice, et une chose surprenante attire son regard : ils sont représentés par des points noirs, qui bougent à chacun de leurs pas.

— J'ai obtenu cette carte au centre, dit Cincotti avec une pointe de fierté. Elle est unique. Nous devrions nous diriger vers une forêt là-bas. Les gardes ne nous retrouveront pas, et ensuite nous pourrons voir une connaissance pour chercher une solution.

Anjali et Cincotti doivent maintenant se ressourcer en opales. Ils comptent les gemmes restantes, tandis que Ryujin et Rokia, protégés par leurs opales spectrales, n'ont pas besoin de cette précaution. Après quelques minutes de marche, Cincotti leur propose enfin de manger.

— Ça tombe bien, murmure Rokia en entendant son ventre gargouiller. Depuis hier, je n'ai pas eu un vrai repas...

Ils s'arrêtent devant un lieu inattendu.

— Je n'arrive pas à croire qu'il y ait un restaurant au milieu de la forêt ! s'exclame Ryujin, surpris.

L'endroit est splendide et réservé aux plus fortunés, des gens qui se restaurent en opales pour pouvoir respirer et s'offrent le luxe de plats raffinés. Les familles modestes, elles, se contentent de plantes pour ne pas avoir le ventre vide, préférant économiser leurs opales pour survivre.

Le restaurant lui-même est en forme d'opale, respectant l'esthétique de ce monde sous-marin. Des humains au physique d'hippocampe servent les clients : ils ont un nez exagérément long, une peau couverte de plaques osseuses, et de petits yeux qui les font presque paraître aveugles. Leur démarche maladroite amuse le groupe, qui les observe en silence. Les tables translucides et les chaises s'adaptent aux formes de chacun ; certaines sont même assez robustes pour des clients imposants, comme un homme à la peau verte dont le ventre rebondi peine à être retenu par sa ceinture.

— Cent opales pour quatre personnes, annonce le serveur en finissant de compter les gemmes.

— Cent ? Ce n'est pas donné, proteste Cincotti, un peu contrarié.

Il n'a pas envie de gaspiller des opales, bien qu'il ne puisse pas manger sous le regard affamé des adolescents. Depuis un moment, il subtilise discrètement des opales polychromes des arbres voisins.

Alors qu'ils attendent, Anjali commence à expliquer à Rokia et Ryujin la différence entre elle et les hybrides mi-hommes, mi-poissons.

— À l'origine, ces personnes étaient des humains comme nous, leur confie-t-elle. Ils ont choisi d'acquérir des gènes d'animaux marins pour ne plus avoir besoin d'opales pour respirer.

Les adolescents, fascinés et un peu troublés par cette explication, commencent à comprendre l'étrange apparence de certains passants.

— Ouch ! Attention ! proteste une dame qu'ils bousculent en marchant, absorbés par le spectacle des clients du restaurant.

— Désolé, madame, répond Ryujin, penaud.

— Allez vous asseoir, vous deux, dit Cincotti avec un sourire. Arrêtez de dévisager tout le monde. Ils pourraient mal le prendre.

Obéissants, Ryujin et Rokia rejoignent Cincotti et Anjali, déjà installés. Dans ce restaurant, on peut goûter les plats avant de commander. Ils sont impatients de faire leur choix, face à la variété de mets proposés.

— Des pâtes ! s'exclame Rokia avec soulagement. Enfin quelque chose de normal !

Mais, en les observant de plus près, une inquiétude les prend.

— Ce ne sont pas vraiment des pâtes, souffle Ryujin en reculant. Regarde comme elles bougent...

En effet, ce qui semblait être des pâtes se révèle être des vers de couleur pâle, et l'un d'eux saute soudain au visage de Ryujin. Pris de panique, il se fige.

— Arrête de bouger, je vais l'enlever, dit Rokia, essayant de le rassurer.

Juste à ce moment, une étrange créature s'approche d'eux. Sa peau est rose, ornée de petites antennes, un nez aplati, des sclères noires et des paupières rouges. Rokia ne peut déterminer son origine, mais, avec ses doigts fins et son bras aussi long qu'un spaghetti, elle dégage les vers du visage de Ryujin et les engloutit avec gourmandise.

— C'était exquis ! déclare-t-elle avant de repartir, un sourire aux lèvres.

Ryujin n'a même pas le temps de la remercier. Elle s'éloigne déjà, l'air satisfait.

— Il va falloir t'habituer à la nourriture d'ici, plaisante Anjali. Regarde ça, dit-elle en montrant un plat. C'est une sorte de sandwich aux larves, et ce pain rougeâtre... enfin, si on peut appeler ça du pain.

— On prend ça ? hésite Rokia.

Vite, nous avons déjà commandé, répond Anjali avec un clin d'œil.

Ils finissent par goûter le sandwich et, à leur grande surprise, le trouvent assez savoureux malgré sa texture pâteuse. Accompagné d'une boisson rafraîchissante, le repas leur permet de reprendre des forces. Leurs ventres, restés vides trop longtemps, se remplissent enfin. Rokia commence à ressentir une fatigue intense ; elle aimerait pouvoir se reposer.

Face à elle, une étrange machine attire son attention. Un bouton rouge brille, semblant l'inviter à l'action. Elle jette un coup d'œil à ses camarades, tous absorbés par leur repas. Sa curiosité la pousse à tendre la main vers ce bouton mystérieux.

Avec un regard espiègle, elle effleure le bouton rouge, ne sachant pas ce qu'elle pourrait déclencher.

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 12 ⏰

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