Chapitre 11

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Il a fallu quelques minutes avant que la douleur atroce, semblable à une brûlure intérieure, finisse par s'estomper. Rokia, épuisée, respire enfin avec soulagement et, les paupières lourdes, parvient à s'endormir.

De son côté, Ryujin n'est pas encore à l'heure du sommeil. Au contraire, il est en pleine fête avec son camarade, qui l'entraîne à découvrir les spécialités étranges et un peu repoussantes des abysses : calamars grillés, anguilles fumées, nageoires de poisson et étoiles de mer séchées. Bien qu'il ressente un léger dégoût, il se prête au jeu, haussant les épaules.

— Ça colle sous la dent, mais ce n'est pas si mal, dit-il en riant, le regard complice.

Son camarade, sans la moindre retenue, met la musique à fond. En riant aux éclats, ils sautent à pieds joints sur les lits, complètement emportés par l'ambiance et oubliant qu'ils dérangent les autres.

— EH OH ! ON SE CALME LÀ-BAS ! rugit une voix féminine, tonnant dans le couloir et résonnant comme un coup de tonnerre dans les oreilles des deux jeunes qui, surpris, se figent et se calment immédiatement. Mais la voix ne s'arrête pas là. Elle pousse un cri si fort, perçant et autoritaire que leurs camarades de chambre, excédés, se bouchent les oreilles. Dans la chambre voisine, Rokia et sa colocataire Anjali se réveillent brusquement sous ce bruit assourdissant.

— C'est quoi ce cri de malade ? marmonne Rokia en écarquillant les yeux, encore sous le choc.

— Ça doit être la dame du dortoir. Elle ne supporte pas le bruit, répond Anjali, exaspérée, tout en se couvrant les oreilles.

Réveillée par ce vacarme qui semble sans fin, Rokia se recroqueville, craignant de perdre son audition à force de ce bruit aigu. Le cri, strident comme une sirène, résonne dans tout le dortoir, à la fois chez les filles et les garçons, donnant l'impression que les murs vibrent.

Anjali entrouvre alors la porte avec prudence pour voir ce qui se passe. Elle confirme alors ses soupçons. Rokia, les yeux plissés, aperçoit cette étrange créature : une femme petite, au corps singulier, avec une longue tête, un œil unique, deux bras maigres, deux doigts allongés, d'énormes oreilles rouges et des nageoires en guise de jambes. Elle semble agacée au plus haut point.

— Bon, ne t'inquiète pas, ça ne va pas durer, murmure Anjali en tentant de rassurer Rokia, tout en gardant un œil sur la créature.

Rokia, fascinée par cette apparition si étrange et imposante, se demande comment un tel être peut exister.

— Rokia, je pense qu'on devrait se coucher. Il ne faudrait pas qu'elle nous voie éveillées, murmure Anjali, un peu inquiète.

Elle referme doucement la porte et se glisse rapidement sous les draps, invitant Rokia à faire de même.

Le lendemain matin, Rokia est tirée de son sommeil par le chant des orques. Bien qu'elle n'ait dormi que quelques heures, elle sent la fatigue peser lourdement sur elle. Ces chants l'enveloppent dans une étrange sensation d'apesanteur, comme un son hypnotique. Les quelques grammes de sommeil qu'il lui restait s'évaporent rapidement.

Elle s'approche de la fenêtre pour admirer ce spectacle. Ces majestueux animaux aquatiques semblent flotter, se déplaçant avec grâce, comme si le monde leur appartenait. Elle est impressionnée de les voir en nombre depuis la fenêtre, leurs douces mélodies emplissant l'air comme une berceuse marine.

— Tu es réveillée ? Il faut qu'on se prépare pour aller déjeuner, dit Anjali en se frottant les yeux.

Anjali pensait encore que Rokia dormait, mais celle-ci est bien éveillée, encore plongée dans la contemplation des orques. Elle se prépare, se débarbouille et se dit qu'une douche serait agréable. Au lieu de l'eau, des opales dorées coulent le long de son corps, scintillant avant de s'évaporer en une brume légère.

Bien que sa tenue soit dotée d'un réservoir pour opales, Rokia n'en a pas besoin. Étrangement, sa tenue semble repérer sa gemme verte. À travers une partie transparente, elle distingue un liquide verdâtre brillant. Après s'être préparée convenablement, elle rejoint Anjali, qui l'attend avec impatience. Prêtes, elles s'apprêtent à commencer cette nouvelle journée.

Elles montent dans l'ascenseur qui les emmène directement à l'école. L'idée de se retrouver dans le vide la stresse déjà, et ici, c'est encore pire. L'ascenseur semble suspendu au-dessus d'un abîme sans fond. À l'intérieur, de petits poisson-lune nagent en silence, bloqués par une vitre qui les empêche de rejoindre l'immensité de l'océan. C'est la première fois que Rokia voit de si petits animaux marins, fascinants dans leur simplicité.

Monter dans cet ascenseur est une épreuve, mais l'attraction qu'elle ressent pour ces poisson-lune lui fait oublier, l'espace d'un instant, sa peur du vide.

— Il ne faut pas regarder en dessous. T'inquiète, avec le temps, tu vas t'y habituer, conseille Anjali avec un sourire rassurant

Anjali essaie de la réconforter du mieux qu'elle peut, et ses paroles apaisantes fonctionnent. Après quelques secondes, elles arrivent à la salle de déjeuner, où la plupart des habitants se rassemblent pour manger leurs opales, afin de maximiser leur énergie pour la journée.

Une carte présentant les plats commence à bouger, et Rokia observe ce phénomène avec émerveillement. Elle découvre qu'il y a peu de nourriture comestible pour une personne venant de la terre ferme ; la majorité des habitants des abysses se nourrissent d'opales chamarrées. Elle se met à choisir des végétaux glacés, semblant être l'option la moins risquée. Une fois son plateau en main, elle entre dans une salle immense.

La salle à manger, cependant, n'est pas des plus accueillantes : les murs ternes et sales contrastent cruellement avec la beauté des dortoirs. Les chaises, fabriquées à partir de plantes aquatiques, semblent à peine capables de soutenir le poids des convives. Les tables dures et froides rendent l'endroit peu confortable. Elle observe les différentes communautés qu'elle n'aurait jamais imaginées voir un jour.

Des humains ayant des traits d'animaux aquatiques, comme ses camarades, mais tout aussi variés qu'étranges. Elle aperçoit des personnes à l'apparence de requins, avec des nez si fins qu'ils semblent invisibles. Leur peau élastique et quasi lisse reflète une étrange élégance. Ils parlent une langue inconnue pour Rokia. Elle remarque aussi des individus imposants, au visage rond et gonflé, qui lui rappellent des baleines.

Les voir se déplacer donne l'impression qu'ils luttent contre la gravité. Rokia se dit qu'elle n'a pas fini de découvrir toutes ces mutations aussi fascinantes qu'étranges.

Rokia continue d'observer l'endroit avec minutie, son regard attiré par les tonnes d'opales exposées dans la salle. Un vase rempli de dents de requin attire également son attention. À ce moment-là, Ryujin quitte son groupe de chambre pour s'asseoir près de Rokia et de sa nouvelle camarade, Anjali.

— Hello, les filles. Comment ça va ? dit-il en souriant.

— Ça va super, bien dormi, répond Anjali en riant.

Ryujin fait connaissance avec Anjali, et leurs regards se croisent un instant, créant entre eux une connexion immédiate, presque magnétique.

Opales des AbyssesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant