Tokyo Moon

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Devenir anonyme...

Mon antre

Ma pièce fétiche

Ici, on peut trouver tous les objets possibles et inimaginables pour commettre un meurtre avec un soupçon d'originalité. Ça passe par les plus connues, les fusils, le marteau, la hache, et nous avons aussi des objets inventés par mes parents pour plus de divertissements, je dirais. Mon style à moi est de prendre la plupart du temps quelque chose que mes victimes affectionnent, afin que ce soit encore plus douloureux pour elles de mourir. Physiquement, c'est horrible quand on est conscient de sa propre mort, mais ajoutez à ça les liens affectifs ou émotionnels et vous avez obtenu le combo gagnant, je peux vous le jurer.

(Bien sûr, mes petites bavettes bien juteuses, à NE PAS REPRODUIRE CHEZ SOI !) Qu'on soit bien clair, sinon Tokyo Moon sera présente pour vous botter le cul (en bonne et due forme).

Je m'avance vers le fond de la salle, pendant que Devil examine chaque objet de famille avec des yeux d'admiration et d'excitation. Ses prunelles sont tapissées de paillettes. J'ouvre une petite porte, pénètre à l'intérieur et m'habille d'une tenue de chimiste pour protéger mon corps des effusions de substances corrosives. Lorsque je ressors pour retourner dans la pièce, Devil est là tout proche de moi, à me reluquer de la tête au pied afin de comprendre la raison de mon encroutement.

— Ne me regarde pas avec ton air de merlan frit. Tu m'as demandé mon aide, et je te la donne, sauf que je ne t'ai pas précisé que tu allais souffrir le martyre pour rentrer dans mon monde.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Tes empreintes digitales seront ton talon d'Achille ! Tu pourrais mettre des gants, à part qu'un petit trou est si vite arrivé quand on est dans l'excitation du moment, donc ce n'est pas envisageable. Tu pourrais te couper les doigts, mais tu en as fortement besoin pour exécuter tes missions. Puis les tatouages, ça pourrait le faire en vrai, excepté que la police a adapté leur système numérique, alors qu'aujourd'hui même les tatouages ont leur faille. Donc il ne reste plus qu'une seule solution qui ne va pas te plaire, mais tu es obligé d'en passer par là, sinon tu dégages !

Le couperet tombe. Devil blanchit à vue d'œil. Certes, il en a vu des vertes et des pas mûres, mais c'étaient des choses infligées aux autres, pas à lui-même, de ce que je crois.  Je ne connais pas toute sa vie. Alors que là, il devra décider de son sort lui-même.

— Tu sais quoi ? À voir ton regard, tu n'es pas prêt. Donc...

Je prends le produit corrosif dans l'un des nombreux placards de la salle d'instruments, je me rapproche du lavabo, pose le bouchon au fond, et vide l'acide entièrement.

— Maintenant, à toi de voir ! Je vais te laisser méditer là-dessus seul ! Et si tu es prêt, plonge-les dans le bac, sinon dirige-toi vers la porte d'entrée et fuis le plus vite possible avant que je te rattrape pour te zigouiller.

Je me déshabille, jette les affaires dans le cellier et pars en direction de la porte. Lorsque je la referme, je vois encore Devil qui n'a pas bougé d'un pouce et réfléchis à la va-vite aux solutions qui lui sont imposées. Je referme derrière moi, il n'a aucune possibilité de sortir de la pièce sans que je ne la déverrouille.

À lui de faire ses propres choix à présent.

Je remonte vers mes appartements et file dans la pièce informatique, afin de pouvoir étudier son comportement grâce aux centaines de caméras installées dans le bâtiment. Je vais pouvoir étudier chacun de ses faits et gestes. Un Red Bull, avec un bon paquet de chips posés sur mon fauteuil, j'inspecte les quatre coins admirant la peureuse de Devil. Son regard suspendu au-dessus de l'évier, il hésite à sauter le pas. Rien qu'avec ce constat, j'en apprends beaucoup sur lui. Par exemple, qu'il ne pourra pas franchir l'obstacle d'un meurtre sans un moment de réflexion. Lui, il n'est pas né meurtrier, il veut devenir un meurtrier par procuration, alors que les deux membres de ma famille et moi sommes nés pour cette raison. La violence fait partie intégrante de son mode de fonctionnement, ce qui indique un état psychologique défaillant. Mais de là à faire gicler le sang, pas sûr qu'il arrive à passer le cap. Vouloir se rapprocher de son paternel est une bonne chose, surtout très compréhensible. Vivre une vie qui n'a jamais pensé à voir ? C'est une tout autre chose.

L'aiguille de l'horloge ne cesse d'avancer, alors qu'il n'a pas esquissé le moindre geste. Elle est aussi active dans le monde. L'ennui me prend pour cible. S'il ne se bouge pas, le fion, je serai obligé soit de lui passer l'arme à gauche, soit de l'y forcer. Dans les deux cas, je devrais forcément me salir les mains. Une position récurrente depuis ma naissance. Cela dit, ce qui par expansion ne m'affole pas, vu qu'au contraire, tuer est mon moteur de vie. Une passion. Un moment d'extase. Comme une de ces petites pilules que les jeunes ingurgitent en soirée, que je n'ai pas eu la chance de tester. Avoir un contrôle total sur la turbine que constitue mon cerveau ne peut et ne veut pas perdre un moindre contrôle.

— Si tu penses que le liquide va s'évaporer par magie, tu te fourres le doigt dans l'œil, monsieur qui se prend pour un dur à cuire, ricanais-je en le poussant dans ses retranchements, en parlant dans le micro.

Je vois ses lèvres bouger, mais je ne sais pas ce qui baragouine du fait qu'il ne produit aucun son. Le bougre se permet de m'incendier en silence sans que j'en saisisse le moindre sens. Il le regrettera amèrement un jour.

S'il continue, je vais vraiment finir par perdre mon calme et le plonger moi-même dans l'acide. En revanche, je peux jurer que ce ne seront pas ces doigts qui vont finir dans l'évier. Je repousse ma chaise d'un léger mouvement du pied, tourne sur les roulettes en quittant la pièce informatique d'un pas furieux. C'est bon, il a atteint ma limite.

Je veux bien prendre le rôle de la baby-sitter, mais m'offrir une mauviette sur un plateau, c'est comme proposer un mets succulent composé de chair fraîche en me donnant un couteau à beurre pour découper délicatement le tendre de la chair.

The queen of crimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant