Hadès est déjà à table quand j'arrive dans la salle à manger. Alors que je m'attendais à ce qu'il reprenne notre dispute de tout à l'heure, il me jette à peine un coup d'œil.
Comme au petit déjeuner, il grignote, plongé dans la lecture d'un parchemin.
Si j'avais toucher à mon assiette avant que Mère soit assise, elle aurait été furieuse. << Voyons, Coré, ne sois pas si gloutonne! Une femme bien élevée s'assure toujours que les autres soient servis avant elle. Tu comprendras quand tu seras mère; toi aussi, tu feras passer les autres en premier. >>
Ma main se crispe sur l'encadrement de la porte. Le couvert est mis pour plusieurs et je ne sais pas où m'installer. Presque toute ma vie, j'ai été seule avec Mère. Pas étonnant que je pense si souvent à elle. Mais chaque fois, ma gorge se serre quand j'imagine sa colère à l'annonce de ma disparition. Comment ai-je pu lui faire ça?
- Évite le pain. Le blé à poussé ici, me prévient Hadès.
Sa voix me paraît lointaine, étouffée par le brouhaha assourdissant de mes pensées.
Le pire, c'est de ne pas savoir ce qu'elle va faire. Jamais encore je ne m'étais rebellée de cette façon.
Par les dieux, qu'est ce qui m'a pris?
Au fond, la réaction de Mère m'inquiète davantage que celle de Zeus. Il va sans doute me punir, mais il l'aurait fait de toute façon, et pour bien moins que ça. Mère ne me pardonnera peut-être jamais. Elle a vécu toute sa vie pour moi, et voilà que je la trahis. Je suis une fille et une personne horrible. Jamais je ne pourrai me racheter à ses yeux, mériter son pardon et son amour...
- Ça va? me demande Hadès.
- Où ça?
- Excuse-moi?
- Le blé, où est-il cultivé? Je suis sortie tout à l'heure et je n'ai pas détecté le moindre souffle de vie.
Je choisis la place voisine de la sienne et me demande soudain si les nombreux couverts n'étaient pas une sorte de test. Dans ce cas, je dirais que mon choix témoigne de ma force de caractère et du fait que je n'ai pas peur pour lui. Mais je ne suis pas sûre qu'il fasse la même analyse.
- Assez loin du palais, me répond-il finalement, renonçant à connaître les causes de mon trouble. Je croyais t'avoir dit de rester à l'intérieur?
Je remplis mon assiette, ignorant de mon mieux l'odeur appétissante des petits pains chauds. Ma gorge est nouée et les fruits brillants me paraissent factices.
- Non, tu as juste dit que tu ne pourrais pas me protéger dehors. J'ai décidé de courir le risque.
- Tu...
- Comment la nourriture arrive-t-elle ici?
Apparemment, ça le contrarie que je refuse de changer de sujet.
- Aucune idée. Ce n'est pas moi qui m'occupe de ça, c'est Hermés. D'ailleurs, il faudrait que je lui dise de maintenir les livraison même si j'ai donné congé à la cour. Ta demande d'hospitalité me coûte cher!
- Qui cultive le blé des Enfers?
Insensible à ses insultes, je trempe un morceau de carotte dans du tzatziki**( photo à la fin du chapitre ).
Le fonctionnement de cette cour et ses différents rouages me fascinent. Père dit toujours que gouverner un royaume est une tâche épuisante, mais ce n'est pas mon impression. Surtout si on peut déléguer aux autres le soin de commander de la nourriture.
VOUS LISEZ
• LA REINE DES ENFERS •
Romansa『 Même les cœurs en pierre, et les âmes les plus noirs peuvent rêver d'un amour sain...ou presque 』