Chapitre 3:Ryusui

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Après avoir quitté la chambre d'Ukyo, je ne peux m'empêcher de sentir une étrange exaltation. Il y a quelque chose de fascinant chez cet homme. J'ai rencontré de nombreux marins au cours de mes voyages, chacun avec ses propres histoires et expériences, mais lui... il est différent. Son calme, sa profondeur, la manière dont il parle de la mer, ce n'est pas seulement un vieux loup de mer racontant ses souvenirs. C'est comme s'il parlait d'une vieille amie, une entité vivante qu'il comprend et respecte profondément.

Je descends les couloirs de l'hôpital, mon esprit encore imprégné de notre conversation. Chaque mot, chaque inflexion de sa voix résonne en moi. Son histoire de silence, ce qu'il appelle le "calme avant la tempête", m'a profondément marqué. Je connais ce sentiment, cette tension avant que quelque chose de grand ne se produise, mais jamais je ne l'avais envisagé de cette façon. Dans ces moments là, je me contente de suivre mon instinct. Mon instinct de capitaine ne me trompe jamais! Cette matinée n'a fait que le prouver un peu plus.

En atteignant la sortie, je m'arrête un instant, respirant l'air frais du dehors. Le contraste avec l'atmosphère aseptisée de l'hôpital est saisissant. Mes yeux trouvent alors François qui m'attend près de la voiture. Il lève les yeux de son livre, un sourcil levé d'une manière qui lui est propre, signe qu'il s'interroge sur ce qui m'a retenu.

-Vous avez prit votre temps Monsieur, dit-il d'un air sérieux dans lequel je peux déceler une pointe d'amusement.

Je ne peux m'empêcher de sourire en réponse.

- J'ai rencontré quelqu'un d'intéressant, dis-je simplement, sachant qu'il n'aura pas besoin de plus pour comprendre.

François range son livre avec un soupir, mais je sais qu'il est curieux. Il lève un regard perçant vers moi, son expression suggérant qu'il s'attend à ce que je partage plus de détails. Mais pour une fois, je garde ça pour moi, savourant cette rencontre comme un trésor personnel.

- Je reviendrai le voir bientôt. Il faudra ajouter ça à mon planning, ajoutai-je en ouvrant la porte de la voiture, quelque chose me dit que j'ai encore beaucoup à apprendre de lui.

François me rejoint dans la voiture, son regard rivé sur la route, mais je sens qu'il garde une oreille attentive à ce que je pourrais dire. La mer, cette vaste étendue indomptable, m'a toujours appelé. C'est un amour profond, une passion que peu peuvent comprendre. Pourtant, en quelques heures, Ukyo a réussi à exprimer ce que je ressens depuis des années, sans même essayer.

Alors que la route se poursuit sans un silence confortable, je me perds dans mes pensées, réfléchissant à tout ce que j'ai appris aujourd'hui. Oui, il y a définitivement plus à découvrir, et je ne peux m'empêcher de ressentir une impatience grandissante à l'idée de notre prochaine rencontre.

L'avantage avec François c'est qu'on a pas besoin de lui dire les choses deux fois. À peine trois jours plus tard, je peux de nouveau rendre visite à l'ex sous marinier avec cette fois toute une après midi de libre.
Comme la première fois que je suis venu, Ukyo avait déjà les yeux rivés vers la porte alors qu'un livre reposait sur ses jambes.

-Tu m'a encore entendu arriver? Je ne peux m'empêcher de demander alors qu'un sourire prend place sur mon visage.

Il acquiesce avec un petit sourire amusé.

-Tu as une démarche vraiment reconnaissable. Cela dit tu m'a quand même surpris, je ne pensais pas te revoir si tôt.

Je prends place sur la chaise près de son lit, comme si c'était devenu notre rituel. La pièce est baignée d'une lumière douce, filtrée par les rideaux. Le calme qui règne dans cette chambre contraste avec l'énergie bouillonnante en moi.

- J'ai hâte d'entendre d'autres histoires, dis-je en toute franchise, laissant transparaître mon enthousiasme, c'est rare de rencontrer quelqu'un qui voit la mer de la même manière que moi.

Ukyo me regarde sereinement mais je décèle dans le fond de ses yeux verts une lueur d'intérêt. Ce calme m'apaise, comme si sa présence tempérait la frénésie que je ressens si souvent.

- Quand j'étais jeune, je rêvais de découvrir tous ses secrets, dis-je en m'adossant à ma chaise, je pensais que devenir capitaine de mon propre navire me permettrait de le faire. Mais plus je navigue, plus je réalise que la mer n'a pas de fin. C'est un puits sans fond de merveilles et de dangers.

Je laisse un silence s'installer puis, je me penche légèrement en avant, animé par une curiosité presque enfantine.

- Raconte-moi, je veux tout savoir. Quelles sont ces surprises que la mer t'a réservées ?

Ukyo sourit, amusé par mon impatience. Il prend une profonde inspiration avant de répondre.

- Je me souviens d'une nuit, lors d'une mission dans les eaux profondes. Nous étions en mode furtif, les moteurs coupés, le silence nous entourant comme un voile. Tout était calme, si calme que c'en était inquiétant. Puis, soudain, un son s'est fait entendre. Un battement sourd, régulier, venant des profondeurs. Ce n'était pas naturel, ça ne ressemblait à rien que j'avais entendu auparavant.

Mon cœur bat plus fort alors que j'imagine la scène. Je peux presque sentir l'angoisse de cet instant.

- Et alors ? demandai-je, suspendu à ses lèvres.
- Nous avons tenté de suivre ce son, de comprendre ce qu'il était. Mais plus nous avancions, plus il semblait s'éloigner, comme si quelque chose ou quelqu'un jouait avec nous. Finalement, le son a cessé aussi soudainement qu'il avait commencé. Il n'y avait plus que le silence, lourd et oppressant.
- Tu crois que c'était quoi ? Un animal ? Un autre sous-marin ? Une... créature ?

Ukyo secoue la tête, un sourire mystérieux aux lèvres.

- Je ne le saurai jamais. Parfois, il vaut mieux ne pas chercher de réponses. La mer garde ses secrets, et il faut savoir quand accepter cela.

Je reste silencieux, méditant sur ses mots. Cette logique est aux antipodes de la mienne. Moi je désire tout. Je veux obtenir tout ce que la mer a à offrir. C'est ma plus grande motivation à chaque expédition.

- La mer est une maîtresse exigeante, dis-je finalement, un sourire en coin, mais je n'ai jamais été du genre à me contenter de demi-réponses. Peut-être qu'un jour, je découvrirai ce que c'était.

Ukyo me fixe, ses yeux pétillants d'une lueur que je n'arrive pas à déchiffrer.

- Peut-être, répond-il simplement.

Nous continuons à discuter, la conversation dérivant sur nos expériences respectives. Le temps semble s'arrêter alors que nous échangeons des histoires, des réflexions, des rêves. Il y a une camaraderie silencieuse entre nous, comme si nous avions partagé bien plus que quelques heures ensemble.

Lorsque l'après-midi touche à sa fin, je me rends compte à quel point cette rencontre m'a marqué. Ukyo est un homme qui comprend la mer, non pas seulement en tant que marin, mais en tant qu'âme liée à elle. Je sens que cette connexion entre nous n'est que le début de quelque chose de plus grand, de plus profond.

Au moment de partir, je me retourne une dernière fois vers lui, comme pour m'assurer que ce lien est bien réel.

- Je reviendrai, Ukyo, dis-je avec détermination, il y a encore tant de choses dont nous devons parler.
-Je t'attendrai, Ryusui, répond-il avec un sourire emprunt de douceur et de sincérité.

L'étreinte du fil et de la mer.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant