Chapitre 1 : l'ombre d'une rencontre

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La ville de New York ne dormait jamais.
Sous l'éclat des néons, dans le vrombissement continu du trafic, Éris se mêlait à la foule dense, une ombre parmi des milliers d'autres. C'était ainsi qu'elle préférait exister : à la périphérie du monde, là où l'ombre la protégeait, où elle pouvait observer sans être vue. L'anonymat était son armure, son sanctuaire.

Mais en ce jour particulier, un éclat de lumière fissura cette forteresse de solitude.
Quelque chose, ou plutôt quelqu'un.

Elle la vit en traversant Spring Street.
Une jeune femme, différente de tout ce qui l'entourait. Alors que la lumière dorée de l'automne caressait les trottoirs crasseux. Une beauté naturelle, irréelle presque, qui semblait flotter au-dessus du chaos.

Ses cheveux, épais et bouclés, captaient la lumière d'automne comme une flamme mouvante sous les rayons du soleil, formant une auréole sauvage autour de son visage métis. . Son rire traversa le vacarme de la ville, clair, inattendu, vibrant de vie.

Chaque geste dégageait une douceur désarmante, une énergie lumineuse, éclatante. insouciante, la tête légèrement renversée en arrière, révélant un éclat de gorge nue qui sembla foudroyer Éris sur place. À ses côtés marchait un homme, grand, sûr de lui, sa main possessivement nouée à la sienne.

Éris ralentit.

Quelque chose en elle, un instinct ancien, tendit un piège à son souffle. Un pincement au cœur, d'abord léger, puis insistant, presque douloureux, se fraya un chemin en elle. C'était une onde de choc silencieuse, un appel irrésistible.

Elle ne connaissait pas cette fille. Elle n'avait jamais vu ce visage auparavant, et pourtant, elle sentit au creux de son ventre cette certitude brutale : elle ne pourrait plus l'ignorer.

La foule l'engloutissait, la rue vivait autour d'elle, mais Éris n'avait d'yeux que pour elle. Elle ne voulait pas seulement connaître.

Elle voulait la posséder. La protéger. La garder loin de tous ceux qui ne sauraient pas la comprendre.

Elle la suivit, sans y penser. Sans intention consciente. Ses pas se calquaient aux leurs, discrètement, habilement, noyés dans la marée humaine.

Elle voulait la voir encore. La voir sourire, parler, exister. Capturer quelque chose d'elle avant qu'elle ne disparaisse à jamais dans l'immensité de la ville.

Son prénom, elle ne le connaissait pas.
Mais ce n'était qu'une question de temps.

La jeune femme disparut au détour d'une rue, absorbée par la foule.
Éris resta figée un instant, le regard perdu sur l'endroit où elle l'avait vue pour la dernière fois.

Puis, sans un mot, elle reprit sa marche, les mains enfoncées dans les poches de sa veste noire.

La soirée s'étira sans qu'elle n'en retienne rien. Elle rentra chez elle, un petit appartement anonyme niché dans un immeuble décrépit de l'East Village. La porte claqua derrière elle, coupant le monde extérieur d'un geste sec.
Là, seule entre les murs blanchis par le temps, l'image de cette inconnue ne la quitta pas.

Elle s'assit face à son ordinateur, alluma l'écran d'un geste nerveux. Le bruit du disque dur résonna dans le silence.

Un nom. Un visage.
Elle n'avait rien de tout ça. Mais elle avait un point de départ.

Elle ferma les yeux une seconde, revoyant la scène : Spring Street.
Elle se souvenait du magasin devant lequel la jeune femme avait ri, de l'enseigne bariolée au-dessus d'elle. Un café, peut-être. Un lieu fréquenté.

Elle commença là.

Une recherche rapide du quartier, les commerces, les lieux populaires.
Des comptes Instagram liés à la rue, à l'endroit précis. Un par un, elle les parcourut : Photos, visages, moments volés de vie.

Puis elle la vit. Pas directement.

D'abord, un reflet dans la vitrine, flou, capturé par un inconnu.

Éris zooma. Le cœur battant à une rythme effréné.

Le cliché était récent. Le compte qui l'avait posté appartenait à un bar à proximité. Elle plongea dans les publications, les identifications, les commentaires.

Un prénom finit par émerger dans le flot numérique. Quelques lettres tapées à la va-vite sous une photo de groupe : "Toujours la plus belle, Meg."

Meg.

C'est n'était pas encore une certitude. Mais assez pour creuser.

Éris s'appuya contre le dossier de sa chaise, les yeux rivés à l'écran, impassible en surface, alors qu'une marée brûlante montait en elle.

Bientôt, elle saurait tout ce qu'il y avait à savoir, elle n'aurait plus besoin de hasard pour la revoir.

Ses doigts dansèrent sur le clavier. Les réseaux sociaux étaient un terrain de chasse pour ceux qui savaient chercher. Une simple recherche croisée, quelques combinaisons de mots, et le profil apparut.

Un compte Instagram privé. Mais la photo de profil était suffisante : ce sourire, ces cheveux en cascade. Aucun doute possible.

Elle parcourut les quelques éléments accessibles : La bio minimaliste indiquait son prénom complet — Megan.
Un lien vers un portfolio en ligne, où elle se présentait comme artiste peintre.

Éris cliqua. Le site s'ouvrit lentement, révélant des œuvres éclatantes de couleurs, des tableaux vibrants d'émotions brutes.

Sous chaque toile, une signature discrète.
Un style à la fois tendre et tourmenté, étrange reflet d'une personnalité que la jeune femme n'avait encore qu'effleurée du regard.

De fil en aiguille, d'indices en indices, Éris remonta la trace laissée par Megan.
Des amis identifiés sur d'autres profils publics. Des soirées, des expositions.
Des adresses taguées.

Spring Street n'était pas un hasard : elle habitait dans le quartier. Un appartement partagé, si elle en croyait les commentaires sur certaines publications.
Des photos prises depuis une terrasse familière, un graffiti reconnaissable sur un mur voisin.

Chaque nouvelle information tissait une carte dans l'esprit d'Éris.

Pas seulement où Megan vivait. Où elle travaillait. Où elle passait ses soirées. Qui elle voyait.

Elle zooma sur une photo de groupe :
Megan, entourée d'amis, un verre à la main, un rire suspendu à ses lèvres.
Un fil rouge discret, un détail insignifiant pour d'autres, mais pas pour elle.

Éris resta longtemps immobile devant l'écran.

Un monde entier s'ouvrait à elle.
Un monde qu'elle n'aurait jamais dû toucher, mais qui maintenant lui appartenait, en silence.

Elle ferma les yeux un instant. Respira profondément. Elle ne ferait rien.
Elle voulait seulement... être proche.

L'ordinateur diffusait une lumière bleutée dans la pièce sombre. Éris faisait défiler les images avec une lenteur calculée, chaque mouvement précis, contrôlé. Pas de précipitation. Pas de débordement.

Chaque détail était enregistré mentalement : les visages qui revenaient, les lieux familiers, les habitudes esquissées entre deux publications anodines.

Elle créait une carte invisible dans son esprit. Un réseau discret de liens et de chemins, dont elle serait la seule à connaître l'existence.

Une galerie où elle exposait parfois.
Un café préféré, deux rues plus loin.
Des amis récurrents. Un homme, Jake, dont la main apparaissait trop souvent sur son épaule.

Elle ne ressentait pas de jalousie. C'était juste une information supplémentaire.
Une donnée de plus dans l'équation.

Éris coupa l'ordinateur. L'écran s'éteignit dans un souffle. Elle resta assise un moment dans l'obscurité, immobile, les yeux ouverts, comme si elle continuait à voir sans lumière.

Elle ne toucherait pas à cette vie. Elle se contenterait de l'observer, patiemment, à distance. Jusqu'au jour où l'occasion viendrait à elle, naturellement.

Elle ne forcerait rien. Pas besoin. La ville, capricieuse, finirait par leur tendre une passerelle.

Et elle serait prête.

Elle ~ une obsession dévorante ~ Où les histoires vivent. Découvrez maintenant