Partie 2 : là où tout a commencé
La fille invisible
C'était dans le garage que tout avait commencé.
Un endroit un peu froid, qui sentait la poussière et l'essence. Les vitres sales laissaient passer une lumière blanche et oblique, comme un fil de clarté qui ne voulait jamais atteindre le sol. Megan s'y réfugiait souvent après l'école, quand la maison devenait trop pleine de voix qui ne parlaient pas d'elle.
Elle s'asseyait sur une caisse de bois, une feuille posée sur les genoux, un vieux pot de peinture volé dans le placard à outils. Les premiers dessins étaient maladroits, un mélange de couleurs hasardeuses. Mais dans ces heures suspendues, elle se sentait moins seule. Moins inutile. La peinture la regardait en retour. Elle n'attendait rien d'elle. Elle ne la comparait à personne.
Un jour, à l'école, sa professeure d'arts plastiques s'était approchée de son bureau, un sourire étonné sur le visage.
— Tu as fait ça toute seule ? avait-elle demandé, en tenant une feuille maculée d'un ciel bleu et d'un champ jaune.
Megan avait hoché la tête, trop surprise par cette intérêt soudain pour parler.
— Tu devrais continuer. Ça ce voit à ton visage que tu aime dessiner, et ça ce reflète sur ton dessin.
Ce jour-là, elle avait senti quelque chose se fendre à l'intérieur — quelqu'un, pour la première fois, la voyait vraiment. Pas pour ce qu'elle faisait mal, mais pour ce qu'elle était.
En rentrant chez elle, elle avait voulu le dire à sa mère. Elle l'avait trouvée dans la cuisine, un torchon à la main.
— Maman, la prof d'art plastique a dit que j'étais douée, tu te rends compte ?
Elle tenait dans ses mains le dessin qu'elle avait fait plutôt, dans l'espoir de recevoir comme pour sa professeure des compliments.
— Hm. Tant que tes notes suivent, avait répondu la mère sans lever les yeux. Va plus tôt mettre la table.
Et le silence avait de nouveau repris sa place.
Megan avait senti ses doigts se contracter autour du papier.
Elle avait attendu.
L'attente était devenue une habitude, un petit trou qu'elle apprenait à ne pas regarder trop longtemps. Elle avait déposé le dessin sur la chaise, près de la radio, et avait mis les couverts. Quand tout fut prêt, elle avait repris son dessin et l'avait posé au milieu de la table comme on pose une offrande.
Son frère, lui, avait débarqué en trombe, le pantalon plein de boue, un trophée de foot sous le bras. Sa mère s'était redressée. Son visage s'était transformé, comme si une autre lumière venait d'allumer la pièce.
— Oh regarde, c'est mon petit champion ! s'était-elle exclamée, l'enthousiasme débordant dans la voix. C'est formidable, on ira célébrer ce week-end.
Elle avait pris le garçon dans ses bras, l'embrassant sur la tempe, le regard fiévreux. Le monde de Megan s'était rétréci à la taille d'un dessin abandonné.
Alors Megan avait gardé ça pour elle. Les mots de la prof, les petits morceaux de papier qu'elle recouvrait de couleurs, les odeurs de gouache qu'elle cachait dans sa chambre.
Elle avait appris très vite les signes qui annonçaient l'attention : la façon dont sa mère froissait légèrement l'œil droit quand quelque chose la touchait vraiment ; le silence qui précédait les mots doux ; la manière dont la main se posait, et combien de temps elle y restait. Son frère avait droit à ces signes comme à une distribution régulière de soleil. Megan avait dû se contenter des petits rayons.
VOUS LISEZ
Elle ~ une obsession dévorante ~
De TodoDans l'immense New York vibrante et chaotique, Éris, une femme énigmatique et discrète, croise pour la première fois Megan, une jeune femme à l'énergie solaire et au charme désarmant. Subjuguée par cette rencontre, Éris développe une fascination obs...
