Chapitre 42 - Ce que la nuit ramène prt 1

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La boîte de Pandore

Le ciel s'était teinté d'orange et de bleu profond, et la ville, doucement, entrait dans la torpeur du soir. Les rues devenaient plus calmes, les visages plus rares. Dans un coin tranquille d'un parc presque désert, Éris s'était assise sur un banc de pierre. Les épaules droites, mais les yeux lourds, elle attendait Serena, les doigts crispés autour d'un gobelet de café devenu froid depuis longtemps.

Le bruit de pas familiers finit par briser le silence. Une silhouette longiligne s'approcha, manteau noir ouvert sur une chemise froissée, comme si elle était venue en courant.

— T'as une sale tête, souffla Serena en s'asseyant à côté d'elle.

— J'ai pas dormi, répondit Éris d'une voix éteinte.

Le silence s'installa. Serena ne posait jamais de questions tout de suite. Elle attendait que les choses viennent d'elles-mêmes.

— Ça revient, Serena... Ces nuits où elle parlait toute seule, où elle riait, hurlait, où je devais me cacher dans le placard. J'avais oublié... Enfin, je croyais. Mais depuis quelque temps, c'est là. C'est dans ma tête, dans mes rêves. C'est comme si j'y étais encore.

— pourquoi maintenant, tu crois ? demanda Serena doucement, en posant un regard presque maternel sur elle.

Éris haussa les épaules, tira machinalement sur la manche de sa veste.

— Peut-être parce que je commence à lâcher prise. Peut-être parce que Megan est là, et que ça me donne l'impression que j'ai le droit de baisser la garde. Et que mon cerveau en profite pour tout faire remonter. Ou peut-être que c'est ce putain de numéro inconnu qui insiste.

Serena redressa la tête, son attention piquée.

— Numéro inconnu ?

— Ouais. Appels répétés depuis une prison du Minnesota. Je décroche pas. J'peux pas.... J'veux pas... J'ai pas envie d'ouvrir cette porte-là.

Un soupir. Puis un long silence.

— T'as peur de quoi, Éris ? Que le passé te suive ou que Megan voie ce que t'as vraiment vécu ?

— Franchement...? les deux.

Serena se pencha vers elle, posa une main sur sa jambe.

— Elle t'aime, cette fille. J'ai vu comment elle te regarde. Et moi, je sais ce que t'as traversé, du moins ce que tu as accepté de me dire. Quand t'on s'est rencontré. Tu survivais. Là, t'essaies de vivre. Et c'est ça qui fout la trouille. Mais t'as le droit. T'as le droit d'avoir mal, d'avoir peur, et surtout t'as le droit de parler.

Éris baissa les yeux. Sa mâchoire se contracta légèrement. Puis, dans un murmure presque brisé :

— J'ai vu ma mère me regarder avec des yeux vides. Comme si j'étais personne. Et j'ai peur qu'un jour, Megan me regarde de la même façon.

Serena ne répondit pas. Elle se contenta de la prendre dans ses bras. Juste quelques secondes. Suffisantes pour lui rappeler qu'elle n'était pas seule.

Quand elles se séparèrent, Éris souffla :

— J'vais devoir faire un choix, hein ?

— Ouais. Et ce sera pas un choix facile. Mais tu l'as déjà fait une fois. T'as choisi de vivre. Aujourd'hui choisis de pas fuir.

Serena l'observait en silence, le dos légèrement courbé, les coudes sur les genoux. Elle savait que si elle disait quoi que ce soit trop vite, Éris refermerait la porte aussi sec.

— Elle dort tous les soirs chez moi. ajouta Éris dans un souffle. Comme avant... Elle essaye, elle fait des efforts, je le vois. Mais... je sais pas si c'est le bon moment.

— Le bon moment pour quoi ? demanda Serena sans bouger.

— Pour tout ça. Pour lui avouer, pour lui ouvrir les vraies portes. Celles que j'ai jamais ouvertes à personne. J'ai l'impression que tout est encore trop fragile. Que si je parle maintenant, si je laisse sortir ce qu'il y a vraiment là-dedans... dit-elle en pointant sa poitrine puis sa tête. Je vais la faire fuir....Ou je vais m'écrouler...Ou les deux en même temps.

Un silence s'installa, chargé. Éris fixait un point invisible, son visage figé dans une concentration douloureuse.

— Et puis, il y a Tara.

Serena haussa un sourcil.

— Elle est encore dans le tableau ?

— Non. Plus maintenant. Mais c'est récent. Trop récent. Un mois, c'est rien. Et même si Megan a été claire sur ses sentiments, même si elle me choisit moi... je peux pas m'empêcher d'avoir ce goût amer dans la bouche. Elle l'a laissée entrer. Elle l'a laissée troubler ce qu'on avait. Et ça me hante, Serena.

— Tu lui en veux ?

— Non...Enfin si...Pas totalement. J'en veux à moi-même de pas réussir à passer à autre chose. D'avoir cette faille. Ce putain de vide qui me fait douter, même quand elle me regarde comme si j'étais tout pour elle.

Serena croisa les jambes, puis soupira doucement.

— Tu veux que je te dise ? Le bon moment, il n'existe pas. C'est un concept qu'on s'invente pour éviter de se confronter au bord de la falaise. Ce que t'as, ce que vous avez, c'est pas parfait. Mais c'est réel. Et peut-être que c'est ça, le plus effrayant. C'est pas une illusion. Elle est là. Elle reste. Mais toi, tu es terrifiée. Pas parce que tu veux fuir... mais aussi parce que t'as envie d'y croire.

Éris tourna lentement la tête vers elle. Ses yeux bleu acier semblaient encore hantés, mais moins fuyants. Moins fermés.

— Alors je fais quoi ?

— Tu respires. Tu continues à avancer. Tu ne t'obliges pas à tout déballer ce soir. Mais t'arrêtes de fuir ce qui remonte. Tu choisis un moment. À toi. Pas à elle, pas à moi. À toi. Et ce jour-là, quand t'auras décidé d'ouvrir cette foutue porte... elle sera là. Et si elle reste, c'est que t'auras eu raison d'y croire.

Le silence s'étira encore un peu. Puis Éris hocha doucement la tête, les lèvres à peine entrouvertes, comme si un souffle luttait encore pour sortir.

— J'veux juste pas la perdre. Pas elle.

Serena posa une main sur son épaule, ferme, solide.

— Alors ne la perds pas. Mais commence par ne pas te perdre, toi.

Elle ~ une obsession dévorante ~ Où les histoires vivent. Découvrez maintenant