Première version

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L'air est étouffant.
À l'extérieur, une humanité
Que tu as à peine effleurée.
De tes doigts boudinés,
Le nez enfariné dans un pétrin,
Sans jouissance, sans fin,
L'air atterré, une gueule déterrée
Dans un terrier effondré.

Né sous l'orage, avec une sacrée rage,
Tu t'envolais quand d'autres s'écrasaient.
Le nez par terre, c'est de la faute à mémé,
Mermoz
Et tous ces héros qui s'envolaient,
Tu les adulas
Comme je les aimais,
Ces fous volants
Cabrant au-dessus des ponts.
Vertiges des corps,
Œuvre au hasard,
Cordillères des Andes,
Pendues en décembre,
Équilibriste unijambiste,
Pont de l'Artuby.
Saut sans élastique,
Rime pataphysique.
Ces bonnes flambées dans la forêt ?
Parties, envolées.

Enfance volée,
À peine entamée,
De ta peine envisagée,
Qu'en pensée
Un quartier orange,
Des passages à déclouter,
Des images à dégoûter :
Les immeubles bigarrés
D'un quartier malfamé,
Au son d'un accent de brousse,
Aux accents coloniaux.
Et toutes les couleurs
De la palette se mélangent
Dans un horizon de raison
Où passent les saisons
Qui rythment les rires et les pleurs,
Ensemencés de douleur
Dans les champs
Que tu peignais, nue et allongée,
À portée de mon destin.

Que me chantes-tu ?
Qu'accroches-tu sur ces lèvres ?
Quel renoncement, quelle rédemption ?
Pour les sans-feu, les sans-abris,
Les sans-dents, les sans-noms.
Encore une journée à faire peur.

Les intolérants,
C'est ta chanson ?
As-tu encore un peu d'espoir ?
Dans ton monde, dans tes mots ?
Les nuages sont des bateaux
Où l'on peut encore embarquer
Avec des bergères et des moutons.
N'aie pas peur de renier tes frères jusqu'au chant du coq,
Demain c'est le pardon.
La lumière est grande dans ce clair-obscur.

Ceux qui aujourd'hui ont tout,
Demain aussi raides que toi,
Dans un linceul de Turin,
Même gueule fatiguée,
Même tragique dans le rire.
Je ne vois plus le feu
De ta nuit.
Quel est ce chant que tu articulais si mal
Que j'ai mal à la lune ?
Au contact de tes yeux,
Je m'endors une dernière fois,
Sans médoc,
Mais au contact du réel,
Dans un coin du Médoc,
Une palombière
Pour une mise en bière.
Tous les pigeons attendent
Qu'on les libère pour s'envoler,
Comme Guynemer, Mermoz,
Tous les héros de Latécoère,
Partis, jamais revenus.

Tu dégradais une étoile effondrée,
Au big bang de toute vie,
Au commencement de toutes les tragédies.

Ton posca sur les murs,
Gratifié de ta bouillie de poète,
Tu t'en allais, les poches crevées,
Sous un soleil étoilé.
Ton sourire éventé éclairait les rues et les clochers.

Et tu marchais, la tête relevée,
Dans un jersey déchiré, trop large
Pour tes épaules amoindries
D'une ville abandonnée.

Cette enfance volée,
À peine entamée,
Les grenouilles, les crocodiles, les lémuriens
M'en sont témoins :
Quel bonheur malgré tout !

Où est la déflagration
De ta peau contre toute la peau
Du tambour qui cognait comme un sourd ?
Les bons soirs, ou alcoolisé,
Tu confondais le poème et le fond de la mer.
J'ai récolté une brouette de pensées
Pour faire une chape d'espoir
Sur ton grand soir.
Les pieds enlisés dans cette fange de larmes,
J'avance au ralenti,
Sans savoir si je te terminerai.

Qui aura le courage
De te serrer encore une fois,
De te câliner,
Enfermé dans un corps
Trop étroit, sans un droit,
Sous un drap,
Privé de tout.
Même les moines
Priaient l'Angelus,
Accoudés dans une tranchée.
Certains diraient un charnier.
Tu aimais les fleurs et la lecture,
Faire l'amour et boire des coups
Dans des troquets.
La violence est tapie
Quelque part
Entre ici et toi.
Qui aura le courage de crier
Pour protéger
Celle qui t'a donné le plus précieux des cadeaux ?
Qui est le sphinx
Qui vient de s'installer dans ton crâne ?
Sous ton toit,
Un vieillard voyageur monte la garde.

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