5-Egoiste

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 En rentrant chez moi ce soir-là, une tempête de pensées me submergeait. Keyl était-il vraiment mort ? Comment cela avait-il pu arriver ? Était-ce une sorte de justice divine, une vengeance silencieuse pour ce qu'il m'avait fait subir ? Et si Lysandre découvrait la vérité... si un jour il apprenait ce que son fils m'avait fait, cela ne ferait que le détruire encore plus, n'est-ce pas ? Je ne trouvai pas le repos cette nuit-là, incapable de faire taire les tourments dans mon esprit. Aucun son ne résonnait dans la maison, pourtant, le silence pesait sur moi comme une cacophonie douloureuse, remplie d'échos du passé.

Je m'allongeai dans mon lit, les yeux grands ouverts, fixant le plafond comme si des réponses pouvaient s'y dessiner. Le visage de Lysandre revenait sans cesse, ses yeux sombres lorsqu'il m'avait parlé de son fils. Il ignorait tout. Et pourtant, quelque chose dans son regard m'avait dit qu'il n'était pas aussi détaché qu'il prétendait. Peut-être qu'il ressentait déjà que quelque chose ne tournait pas rond, mais il refusait de le voir. Ou peut-être étais-je simplement en train de projeter mes propres angoisses sur lui.

Je me redressai brusquement, serrant mes genoux contre ma poitrine. Le souvenir de Keyl envahissait mes pensées, l'obscurité de ses actes me revenait en vagues douloureuses. Comment pouvais-je jamais parler de cela à Lysandre ? Lui, qui avait tenté de m'offrir refuge, de m'aider, tandis que son propre fils me dévastait dans l'ombre. Le poids de ce secret me tirait vers le bas, m'étouffait.

Je sortis de mon lit, poussée par une énergie nerveuse, et me dirigeai vers la fenêtre. Les lumières de la rue brillaient faiblement à travers les rideaux. Ce monde, celui qui continuait de tourner comme si tout allait bien, me semblait tellement éloigné. Comment pouvais-je m'intégrer dans cette vie, quand mon passé refusait de me laisser en paix ? Quand mon agresseur était désormais une ombre disparue, mais dont le fantôme persistait à me hanter ?

L'idée de la mort de Keyl faisait naître en moi des émotions complexes. Un étrange soulagement mêlé à la culpabilité. Savoir qu'il n'était plus là, qu'il ne pouvait plus me faire de mal ni à personne d'autre, m'offrait une sensation de liberté. Mais en même temps, je me demandais si cela ferait réellement disparaître mes propres démons. Si cela effacerait la douleur de ce qu'il m'avait pris.

Je retournai m'asseoir sur le bord du lit, le souffle court. Si seulement je pouvais tout effacer, recommencer. Si seulement je pouvais trouver un moyen de parler à Lysandre, de lui dire ce que je portais en moi. Mais je savais que cela le détruirait. Comment pourrait-il supporter d'entendre que son fils, celui qu'il pleurait peut-être encore, était un monstre ? Que sous son toit, dans sa maison où il avait voulu nous protéger, il avait laissé se produire l'indicible ?

Et soudain, une question me traversa l'esprit : que devais-je faire ? Devais-je lui dire un jour ? Garder le silence jusqu'à ce que ce poids me consume ?

La nuit s'étira en longueur, et je compris que je n'aurais pas de réponse, pas encore. Mais une chose était sûre : je ne pourrais plus jamais regarder Lysandre de la même manière.

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Le matin suivant, la lumière terne de l'aube perçait à travers les rideaux, mais je n'avais pas dormi. Mon corps était lourd, comme engourdi par l'insomnie, et pourtant, mon esprit ne cessait de tourner en boucle. Keyl était mort. Cette pensée m'avait hantée toute la nuit, mais ce matin, elle se mélangeait à la peur viscérale que je ressentais chaque jour. Je jetai un coup d'œil à Ilora, qui se levait silencieusement, son visage fermé, les cernes sous ses yeux témoignaient des nuits sans sommeil que nous partagions.

Elle ne me regarda pas. Et moi, je n'osai pas briser ce silence. Il y avait un poids entre nous, un fossé qui ne cessait de grandir, chaque jour un peu plus. Je voulais lui parler, lui dire que je comprenais sa souffrance, que je partageais cette douleur, mais les mots restaient coincés au fond de ma gorge. Comme à mon habitude, je ne dis rien.

Nous continuâmes notre matinée comme des automates, chacune dans son coin, sans un mot échangé. Le bruit des pas lourds de notre père résonnait dans la maison, et dès cet instant, l'atmosphère changea. Il était là. Je me raidis, la respiration courte, et je vis Ilora se figer elle aussi. Elle savait. Nous savions toutes les deux.

Je m'assis à table, le regard baissé, mes mains serrées autour de ma tasse froide. Chaque seconde semblait s'étirer à l'infini, remplie d'une angoisse que je connaissais par cœur. J'entendais ses pas se rapprocher et, au fond de moi, je priais pour qu'il passe sans un mot, sans nous voir, qu'il ne remarque rien.

Mais ce n'était jamais aussi simple

- « Ilora, viens ici. » Sa voix grave résonna dans la maison.

Je vis ma sœur, Ilora, se raidir à l'autre bout de la pièce. Elle se leva lentement, ses mouvements empreints d'une résignation amère. Elle savait, tout comme moi, ce qui allait se passer. Et comme toujours, je restais figée, paralysée par la peur. Mon souffle se fit plus court, mes pensées se brouillèrent. Je voulais l'arrêter, faire quelque chose... mais mes jambes refusaient de bouger.

Ilora traversa le salon avec un calme inquiétant, comme une poupée cassée, résignée à son sort. Je la regardai avancer vers lui, vers cet homme que je ne pouvais plus appeler « papa ». Il était déjà à moitié ivre, les yeux rouges et les lèvres tordues dans une grimace désabusée, et ça dès 9 heures du matin.

T'approche pas trop vite, sale gamine, » grogna-t-il, vacillant légèrement.

Je voulais crier, lui dire de ne pas la toucher, mais aucun son ne sortit de ma bouche. Mon corps tout entier semblait enchaîné par une force invisible. Je me répétais que si je ne bougeais pas, si je ne disais rien, peut-être que ce serait moins pire cette fois. Peut-être qu'il se lasserait. Mais au fond de moi, je savais que ça n'arriverait pas.

Quand il attrapa le bras d'Ilora, sa poigne brutale la fit chanceler. Il était furieux sans raison apparente, comme toujours. Je la vis tenter de se dégager, mais elle n'avait ni la force ni l'énergie de lutter. Et moi, je restais là, figée, spectatrice de son supplice. Mon corps refusait de répondre à l'appel de la révolte.

- « Je t'ai dit d'arrêter de traîner comme une bonne à rien ! » s'écria-t-il avant de la secouer violemment.

Ilora se mordit la lèvre pour ne pas pleurer, pour ne pas lui donner la satisfaction de voir sa douleur. Ses grands yeux cherchaient les miens, désespérés, mais je ne pouvais rien faire. Mon regard fuyait le sien, honteux. Je ne pouvais pas la protéger. Je ne pouvais pas non plus me protéger moi-même.

Les secondes s'étirèrent, interminables. Je l'entendais la rabaisser, ses paroles cruelles perçant l'air lourd de la maison comme des éclats de verre. Il la traitait de fardeau, lui reprochait des choses absurdes, comme s'il déversait sa propre haine de lui-même sur elle. Je voyais Ilora se recroqueviller, son corps fin ployant sous le poids de chaque mot, de chaque geste violent.

J'aurais dû me lever. J'aurais dû courir vers elle, l'arracher à lui. Mais je ne bougeai pas. Pas un geste. J'étais là, assise, immobile, le cœur en morceaux. J'étais aussi coupable que lui, me disais-je. Chaque fois que je restais passive, je devenais complice de ses actes.

Soudain, je l'entendis la frapper. Une claque sonore qui résonna comme un coup de tonnerre dans le silence de la maison. Ilora tituba, une main sur sa joue rougie, mais elle ne tomba pas. Elle se tenait droite, encore. Je sentis les larmes monter, mais je les ravalai. Pleurer ne servirait à rien. Pleurer ne l'aiderait pas.

Quand il finit par la lâcher, Ilora resta debout, droite comme un piquet, la respiration saccadée. Il finit par s'éloigner, maugréant dans son coin, avant de disparaître dans sa chambre, sa bouteille à la main. Et comme toujours, il la laissait brisée.

Ce n'est qu'une fois qu'il fut parti que je retrouvai l'usage de mes membres. Je courus vers Ilora et la pris dans mes bras. Elle ne dit rien, se contentant de poser sa tête sur mon épaule, ses mains tremblantes accrochées à mon pull. Son corps tout entier tremblait encore du choc, mais elle refusait de pleurer.

- « Je suis désolée... » soufflai-je, ma voix brisée par la culpabilité. « Je suis tellement désolée... »

Ilora ne répondit pas. Ses yeux, fixes, semblaient vides, comme si elle avait éteint une partie d'elle-même pour survivre. Moi, je n'avais pas été là pour elle, comme je n'avais jamais su être là. Et ça me déchirait à chaque fois, plus profondément que les coups eux-même

Born to run awayOù les histoires vivent. Découvrez maintenant