Amalia De Castro
— Amalia j'espère que tu as une excellente excuse !
J'entre précipitamment dans la salle de repos totalement paniquée. J'ai loupé mon réveil ce matin et ma voiture n'a pas voulu démarrer, j'ai du prendre l'épave que mon grand-père a laissée derrière lui.
— Oh crois moi si je te raconte tout tu ne me croiras pas, répondis-je en passant tel un coup de vent, je file en B004 avec des premières années si tu veux venir...
Je ne laisse pas le temps à Felinka de me répondre et cours presque jusqu'à la salle du bâtiment B située à l'autre bout du campus universitaire.
— Bonjour à tous veuillez m'excuser pour mon petit retard, annonçais-je en entrant dans la salle pleine d'étudiantes, on va reprendre immédiatement sur l'article que je vous ai demandé de lire.
Les femmes face à moi s'attellent à leurs tâches. Il y a bien deux garçons mais la majorité est féminine. Comme quoi en lettres il y a beaucoup plus de femmes.
Les études de lettres sont le paradis pour les lesbiennes et pour toute femme ne voulant pas être effacée par un homme.
Ma professeure de lycée avait totalement raison, même si à l'époque je le savais, à présent j'en suis convaincue.
— Bon est-ce que quelqu'un est volontaire pour présenter l'article en question ? demandais-je en m'asseyant à moitié sur le bureau.
Personne ne me répond mais je vois bien l'hésitation d'une de mes élèves vers la gauche, isolée du reste de ses camarades par la rangée de tables individuelles.
— Vous voulez bien ressortir vos étiquettes avec vos noms ? demandais-je, vous êtes vraiment beaucoup c'est compliqué de tout retenir.
Elles s'exécutent en sortant les petits papiers pliés qu'elles calent, pour la plupart, sur leurs ordinateurs.
— Je croyais que nous étions en TD, me hasardais-je en regardant les ordinateurs.
Nous avions une règle instaurée d'un commun accord, pas d'ordinateur en TD et en TP puisque ce ne sont que des exercices que nous travaillons sur polycopiés.
— Nous avions un accord qui module aussi les examens de fin de semestre, insistais-je devant l'inaction du groupe.
Elles finissent par ranger leurs ordinateurs pour sortir des calepins, des pochettes ou encore des classeurs. Bien, je me lève et fais le tour des rangs pour chercher une potentielle victime qui devra résumer les grandes idées de l'article sur la langue français et ses évolutions. Jordan sera une bonne victime.
— Jordan, vous nous faites votre résumé ?
Le blondinet assis au fond de la salle me regarde et rougit presque automatiquement. Je conçois totalement que ce que je lui demande est compliqué au vu de son tempérament timide.
— Rester à votre place mais parlez juste assez fort pour que les autres vous entendent, lui intimais-je, il n'y a pas de mauvais résumés, d'accord ?
Il hoche la tête, ses boucles blondes s'activent autour de son visage pour rebondir sur ses épaules, il prend sa feuille et se redresse, le dos bien droit. Je vois que personne ne se retourne pour le fixer, c'est parfait.
— Et bien selon l'article, commence-t-il avant de s'éclaircir la voix, la langue français a depuis longtemps subit des attaques que l'on peut qualifier de misogyne. Lors de sa création, l'Académie Française a supprimé les tournures féminines de la quasi-totalité des métiers un tant soit peu importants tels que ceux de l'éducation, du droit, de la médecine et des arts. Aujourd'hui encore, les féminins légitimes de ces domaines sont encore inutilisés et des alternatives impropres à la langue ont été faites tel que le féminin du mot auteur qui est et doit être autrice et non pas auteur avec un "e" que nous somme forcé de prononcer ce qui n'est pas français.
Un sourire tend mes lèvres. C'est excellent !
— C'est parfaite Jordan, souriais-je avant de retourner à mon bureau, cela sera comptabilisé dans votre contrôle continu. Je vais juste chercher la petite bête mais avez-vous d'autres exemples de métier au féminin abandonné et inutilisé ?
Le blond braque son regard océan sur moi avant de regarder sa fiche les sourcils froncés.
— Oh oui, s'exclame-t-il, le féminin de professeur n'est pas utilisé et personne ou presque ne le connaît pourtant les métiers de l'éducation sont les rares exceptions où les femmes étaient autorisées surtout dans la petite enfance.
— Oui c'est ça, approuvais-je, avez-vous le mot exact que l'on a oublié ?Il secoue la tête négativement et je prends un feutre à tableau avant de questionner le reste de la classe.
— Quelqu'un a une idée ?
Le silence me répond, je pivote sur moi-même pour écrire le mot au tableau.
— Le féminin légitime de professeur est donc professoresse, annonçais-je, et j'anticipe vos réflexions du genre : oui mais c'est moche... Nous ne sommes pas habitués à entendre ce mot c'est pourquoi il est si étrange à notre oreille. C'est comme le terme instagrammable, en tant que professoresse de langue français ancienne et moderne ce mot me fait saigner les oreilles surtout quand on sait que le mot n'est pas français mais originaire de l'anglais.
Je me retourne pour faire face à ma petite promo, visiblement je suis en train de les perdre, j'avoue que la règle du "ne laisse jamais les autres deviner ton prochain coup" fait totalement sens à mon comportement et à mes méthodes d'enseignements peu communes.
— Quoi vous êtes déjà larguées ? m'étonnais-je, je pensais que vous voudriez plus de piments dans vos cours après tout vous apprenez de nouveau ce qu'est une phrase simple et quelles sont les classes grammaticales avec certains de mes collègues.
J'ai le mérite de les faire sourire voire même rire pour certaines, j'aimerais vraiment qu'elles se délient de leurs doutes et peur du jugement, faire des erreurs ce n'est pas grave, ne pas essayer en revanche revient à se tirer une balle dans le pied.
— Bon l'équipe vous savez quoi ? lançais-je soudainement, on va jouer au jeu du pendu, je vais vous faire deviner des noms de métier au féminin ça vous va ?
Elles me sourient avant qu'un "oui" collectif ne me réponde. Parfait, j'efface le tableau et commence à tracer les petits tirets qui correspondent aux lettres du métier. J'ajoute un "P" en première lettre et un "e" en dernière.
Je m'écarte du tableau et les laisse réfléchir un instant avant de lancer le jeu. Elles commencent par les voyelles et dégagent deux "e" en fin de mot, deux "o" vers le milieu ainsi qu'un "i" en troisième lettre.
— P-I-O-O- -E- -E, entendis-je dans mon dos alors que j'ajoutais le "e" manquant, philo... C'est en rapport avec les philosophes !
Je me retourne pour chercher qui a dit ça parce qu'elle a parfaitement raison.
— Au début c'est philo, insiste la même voix.
Je trouve qui a dit ça, c'est Claire, la fille qui avait hésité à faire le résumé de l'article. Je lui sourit avant d'ajouter les lettres manquantes qu'elle a si justement trouvées.
— Philoso... tente une autre élève, Marianne, la racine du mot étant la même philosophe mais qu'est-ce qui arrive derrière ?
J'ajoute les lettres en silence, il ne leur manque que deux tirets et une seule lettre. Elles ont encore cinq chances avant de perdre.
— Philosophesse ?
Je souris à la proposition et inscrit les deux "s" manquant avant de chercher celle qui a trouvé la réponse du regard.
— Qui a trouvé ?
La rouquine de la salle se hasarde à lever sa main. Gulia. Je l'applaudis rapidement et retourne à mon cours après avoir effacé le tableau.
— Bon maintenant nous allons travailler sur le livre que vous aviez également à lire depuis la rentrée.
A suivre...
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Killer Queen
Romance𝐒𝐞𝐮𝐥 𝐮𝐧 𝐯𝐚𝐦𝐩𝐢𝐫𝐞 𝐩𝐞𝐮𝐭 𝐭'𝐚𝐢𝐦𝐞𝐫 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐥'𝐞́𝐭𝐞𝐫𝐧𝐢𝐭𝐞́ Amalia De Castro incarne le Wokisme par excellence : féministe, têtue, indépendante et franche, mais avec un cœur tendre. Professeure de littérature dans une petite f...