Chapitre 14 - Prémonitions Silencieuses

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   Le jour venait à peine de poindre, un lever de soleil délavé se répandant sur le ciel gris, lorsque Gabriel aperçut la silhouette. Elle se tenait là, immobile, juste devant chez lui, comme un vestige figé dans l’aube blafarde. Il resta sans bouger, son souffle suspendu dans un état étrange entre rêve et réalité. Était-ce une hallucination, un mirage né de la fatigue, ou était-elle bien réelle ? Gabriel plissa les yeux pour percer la brume, et son cœur tressaillit : c’était indéniablement vrai.

La présence devant lui était inerte, mais quelque chose dans sa posture dégageait une puissance inquiétante. Il pouvait presque sentir le poids d’un regard, même si la silhouette ne bougeait pas. Cela donnait l’impression qu’elle perçait l’obscurité de la maison pour fixer Gabriel lui-même, comme si ce regard invisible s’étirait au-delà des murs, au-delà des fenêtres, s'insinuant jusqu’au tréfonds de son être. Chaque battement de son cœur résonnait dans ses oreilles, lourd et cadencé, comme le tambourinement assourdissant d’une alarme silencieuse.

Il était paralysé, cloué sur place, le souffle court, formant de petits nuages de buée contre la vitre. Le temps semblait s'étirer, chaque seconde devenant une éternité froide et suffocante. Puis, sans prévenir, la silhouette se fondit dans le paysage, emportée par le vent ou absorbée par les ombres des arbres. Le soulagement de Gabriel fut immédiat, mais le froid qui s'était installé en lui ne disparut pas. C’était un froid qui s’était enfoncé profondément, logé sous sa peau.

Secouant ce frisson glacial, Gabriel s'habilla à la hâte. Ses mains tremblaient si fort qu'il eut du mal à fermer les boutons de sa chemise. Il enfila ses chaussures, nouant les lacets avec maladresse, et sortit précipitamment. Là, sur le gravier, une vision sinistre l'attendait : un pneu de sa voiture avait été entaillé, lacéré de plusieurs coupes profondes, comme un avertissement impitoyable. Le caoutchouc tranché formait un rictus grotesque, une moquerie cruelle.

L’angoisse lui vrilla la nuque, glaciale, implacable. C'était un message, une signature de la présence qu’il avait entrevue. Les doigts serrés autour de son téléphone, il appela une dépanneuse. La voix de l’opérateur, bien que rassurante, semblait venir de loin, noyée dans le grondement incessant de ses pensées. L’environnement lui-même paraissait déformé, chaque détail s’imprégnant de menace, de quelque chose de malsain et de vicié.

Plus tard, enfin en ville, Gabriel avait le visage marqué par l’épuisement. Ses traits tirés semblaient raconter une nuit de batailles intérieures, et pourtant, il se rendit mécaniquement au petit café. Là, il retrouva un homme avec lequel il avait déjà échangé : le père d’une fillette disparue il y a vingt ans. Les deux hommes étaient liés par une tension palpable, chacun vivant un cauchemar trop semblable, Gabriel lui raconta ses découvertes.

« Il faut parler à la police, retourner à cette cabane, leur montrer ce que tu  a vu, » proposa l’homme, sa voix vibrante d’une douleur contenue et d’une impatience fiévreuse.

Gabriel acquiesça, mais en lui, une certitude cruelle prenait racine. Le tueur, s’il y en avait un, ne laisserait jamais de traces évidentes. Il ne serait pas si négligent. Pourtant, l’idée de protéger son espace, de surveiller sa maison, ne le quittait pas. L’homme du café, comprenant son besoin d’agir, lui suggéra de se procurer des caméras de sécurité.

Dans la grande ville voisine, Gabriel explora les rayons d’un magasin d’électronique, où chaque caméra semblait une promesse de protection qu’il savait illusoire. Il choisit des modèles sophistiqués : des caméras thermiques, des détecteurs nocturnes. À son retour, accompagné de son allié temporaire, ils les installèrent autour de la maison, dissimulant la caméra principale dans une fausse pierre près de la porte d’entrée.

Cette nuit-là, un calme relatif enveloppa Gabriel. Il avait l’impression que l'extérieur restait à distance, captif des systèmes de surveillance. Mais le répit fut de courte durée. En plein milieu de la nuit, un bruit perçant le réveilla : une alarme. Il s’assit d’un bond, attrapant son téléphone. Une alerte s’affichait sur l’écran, criarde, déstabilisante. Les caméras avaient détecté un mouvement.

La respiration de Gabriel s'accéléra. Il ouvrit l’application, ses yeux fixés sur l'image transmise en direct. Là, sur le seuil de sa porte, la silhouette était revenue. Une créature de cauchemar incarnée, un spectre du réel. Son corps tout entier semblait se figer, mais ses pensées s'emballaient, tournant en spirale. Il bondit vers la porte pour vérifier qu’elle était bien verrouillée, tandis que la silhouette restait, elle, parfaitement immobile.

Puis, lentement, elle s’anima. Un mouvement presque théâtral, rituel, alors qu’elle se penchait pour glisser une enveloppe sous la porte. Un geste empreint d’une lenteur cérémoniale. Avant de s’évanouir à nouveau dans l’obscurité, sans un bruit. Gabriel la fixa, fasciné et terrifié. Les yeux du visiteur brillaient dans l’obscurité, deux lueurs inhumaines qui semblaient s’accrocher à ses cauchemars.

Il se laissa retomber contre la porte, un froid surnaturel l’enveloppant. Rassemblant ses forces, il ramassa l’enveloppe, son esprit luttant pour ordonner ses émotions. Le papier était rugueux, presque vivant sous ses doigts, empreint d’une aura noire, d'une menace qui se diffusait dans l'air. Il l’ouvrit, chaque geste empreint d'une angoisse sourde.

Les mots écrits à l’intérieur étaient tracés d’une main précise, cruelle :

« La mort de cet homme ne t’a pas suffi ? Tu es le suivant ! Arrête de creuser, je t’ai frôlé à la cabane, et tu n’as pas eu assez peur pour abandonner. Mais tu comprendras bientôt le danger ! »

Au bas de la lettre, un symbole étrange s’étalait : un couteau croisé avec une étoile. Un frisson traversa Gabriel, réveillant un souvenir enfoui. Ce dessin… il l’avait déjà vu. Sur une chemise de scout, inscrit dans les souvenirs de la nuit passée en forêt, dans des photos où le passé se mêlait au présent. C’était un écusson, celui du camp de scout.

Les morceaux du puzzle s'assemblèrent, formant une image qu’il aurait préféré ne jamais voir. Il lâcha la lettre, qui flotta vers le sol. La terreur, cette fois, ne disparaîtrait plus.

L'envers des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant