Gabriel se tenait immobile devant une des tentes, la toile autrefois robuste maintenant rongée par le temps et l'abandon. Des filaments de lumière s'échappaient des nuages au-dessus de lui, filtrant à travers le feuillage dense de la forêt, et se posaient en éclats hésitants sur le sol jonché de feuilles mortes. Une tension sourde imprégnait l'air, une vibration presque palpable, comme si la nature elle-même retenait son souffle en réponse à sa présence. Le vent, doux mais chargé d’une fraîcheur mordante, sifflait entre les branches, faisant frissonner Gabriel. Il resserra son emprise sur la lampe de poche qu’il avait trouvée, un simple objet qui semblait pourtant être le point de départ d'un torrent de souvenirs prêts à se déchaîner.
Le faisceau du portable de Gabriel perçait l’obscurité de l’intérieur de la tente, révélant un monde figé dans une immobilité oppressante. Gabriel sentit son cœur s'emballer, chaque battement résonnant comme le roulement d'un tambour de guerre. L'angoisse lui serrait la poitrine, une sensation amère montant jusqu'à sa gorge, le goût d'une peur ancienne, réminiscence d'une terreur refoulée. Il inspira profondément, mais même l'air semblait lourd, saturé de l’humidité de la forêt et d’un parfum d'herbes pourries.
En se penchant pour soulever la toile effondrée, il remarqua l’odeur âcre de la moisissure qui régnait dans cet espace restreint, chaque respiration semblant le rapprocher un peu plus des vestiges d'un passé qu’il n’était peut-être pas prêt à affronter. Les objets éparpillés sur le sol racontaient une histoire que le temps avait tenté d'effacer. Il s’agenouilla, ses genoux s’enfonçant dans le sol boueux, et tendit la main vers un jouet cassé : une figurine en plastique, la tête arrachée, dont les yeux éteints semblaient fixer le vide avec une tristesse infinie. En la touchant, un frisson glacé lui remonta le long de la colonne vertébrale.
À côté, il découvrit un vieil appareil photo jetable, dont le boîtier, jauni et craquelé, trahissait des années d'abandon. Gabriel le prit avec précaution, l’examinant comme s'il s’attendait à ce que le moindre mouvement déclenche une vision. L’objet semblait étrangement vivant, comme s’il renfermait encore l’écho des instants figés en images. Il l'enfouit dans son sac avec précaution, mais son esprit ne put s'empêcher d'imaginer les moments de joie que cet appareil avait peut-être saisis avant que tout ne s’effondre.
C’est alors qu’il aperçut un bracelet enfoui sous un amas de feuilles mortes, partiellement dissimulé par la terre humide. Un simple cordon orné de perles autrefois vives, aujourd'hui décolorées et ternies. Pourtant, ce modeste bijou semblait irradier une force presque magnétique. Il tendit la main, hésitant, ses doigts tremblant légèrement alors qu’il se saisissait de l’objet. Une chaleur inattendue se répandit dans sa paume, douce et réconfortante, mais l’illusion fut de courte durée. Une vision s’abattit sur lui, soudaine et impitoyable.
Il était transporté dans une chambre terne aux murs gris, un endroit dénué de vie et de chaleur. La pièce était saturée d'une tension oppressante, et Gabriel se retrouvait enfant, un petit garçon de cinq ans, recroquevillé dans un coin sombre. Il pouvait sentir le froid du carrelage sous ses doigts, la rugosité du mur contre son dos frêle. Des éclats de voix, rauques et déchirantes, fendaient l'air comme des lames. Une violente dispute éclatait, des cris remplis de haine et de reproches déchirant l’atmosphère.
"Fais pas chier, Mattheo !" hurla une voix, la colère éclatant comme un orage. Une main surgit de l’ombre, dure et implacable, le frappant avec une brutalité qui le projeta contre le mur. La douleur irradia tout son être, le choc le privant d’air, et ses larmes jaillirent, brûlantes et silencieuses. Il savait qu'il devait se taire, qu'il devait disparaître dans le néant de l'obscurité pour éviter d'attirer plus de violence. Se fondre dans le décor, devenir invisible, voilà ce qu’il avait appris. Chaque battement de son petit cœur résonnait comme un cri muet, chaque sanglot étouffé s'enfonçant dans le silence comme un couteau.
Gabriel sentit son corps se raidir, pris de convulsions tandis que les images l'assaillaient sans pitié. Ses souvenirs se déroulaient, chaotiques, le plongeant dans un enfer de terreur enfantine. Il revivait ces scènes de violence comme s’il y était encore, un enfant perdu et terrifié. Il se voyait, un petit garçon fragile cherchant désespérément une cachette derrière un meuble, ses mains tremblant, son souffle court et erratique. La pièce s’emplissait des échos de sa souffrance, et chaque souvenir était une morsure, un retour à une époque de terreur qu’il avait tenté de laisser derrière lui.
La douleur qui l'envahit fut écrasante, une pression douloureuse qui serra son torse comme un étau. Il chancela, vacillant sous le poids de ces révélations. Ses jambes menaçaient de céder, et la réalité se brouillait, tout autour de lui se mêlant à cette douleur réminiscente. Était-il en train de perdre la raison ? Était-ce là le fruit de son imagination ou bien le reflet d’un passé trop longtemps enfoui, tapi dans l’obscurité de son inconscient ?
Reprenant difficilement ses esprits, Gabriel serra le bracelet dans sa main. La tente, les arbres, la forêt tout entière semblaient le fixer avec des yeux invisibles, le jugeant, l’enveloppant dans leur murmure oppressant. Chaque seconde passée dans cet endroit était un combat contre l’envie de fuir, de hurler, de disparaître. Il tituba vers la sortie, ses pensées s’entremêlant en un chaos de terreur et de confusion.
Lorsqu’il émergea enfin de la tente, la lumière du jour l’agressa, éclatante, brûlante, presque cruelle. Le soleil, haut dans le ciel, baignait la clairière de ses rayons, mais Gabriel n’y trouva aucun réconfort. La forêt semblait resserrer ses griffes autour de lui, comme si les arbres chuchotaient des vérités qu’il ne voulait pas entendre. Un vertige le saisit, et il pressa le pas, aspirant à s’éloigner de ce lieu maudit.
La route de retour paraissait sans fin, sinueuse, presque trompeuse. Chaque pas semblait le rapprocher d’une vérité à laquelle il n’était pas prêt. Les arbres, serrés les uns contre les autres, semblaient former des figures inquiétantes, des silhouettes menaçantes prêtes à le retenir dans leur étreinte. L’air était devenu lourd, chargé de l’odeur des feuilles en décomposition et de cette sensation persistante d’être observé.
Enfin, il atteignit le seuil de sa maison, ses jambes flageolantes et son esprit englué dans la confusion. Le bâtiment, semblait abriter des mystères qu’il ne pouvait ignorer. Il entra, le silence le frappant de plein fouet, un silence si profond qu’il en devenait assourdissant. Ses pas résonnaient comme des coups de marteau sur le plancher. Il s’effondra sur le canapé, posant le bracelet devant lui. Le bijou semblait presque vivant, vibrant de secrets qui n’attendaient que d’être révélés.
Le regard de Gabriel se perdit dans le vide, mais même là, il n'était pas en paix. Des images continuaient de danser sous ses paupières, des visages flous, des souvenirs de cris et de douleur. Le passé qu’il avait passé tant de temps à fuir semblait enfin prêt à le rattraper. La maison, cette coquille familière, devenait le théâtre d'une bataille intérieure. Gabriel savait qu'il était à l’aube de révélations qui changeraient tout. Mais il se demanda, en écoutant les échos du silence, s’il était prêt à affronter la vérité.
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L'envers des ombres
Mystery / ThrillerQuand Gabriel reçoit une lettre énigmatique l'invitant à explorer les mystères d'un village perdu, il y voit une opportunité de raviver son inspiration d'écrivain. Mais dès son arrivée, une étrange sensation s'empare de lui, comme si les ombres même...