La voiture s'arrêta en crissant devant une petite maison lugubre, dont l'air pesait de secrets sombres. Les fenêtres brisées et le bois des volets pourrissant formaient une silhouette sinistre contre le ciel gris. Un nom était encore visible, gravé en lettres délavées sur la boîte aux lettres : Frédéric Letellier. Gabriel sentit son cœur s'emballer, chaque battement résonnant comme un coup de tonnerre dans sa poitrine. Il échangea un regard rapide avec son camarade, dont le visage était figé dans une expression de rage maîtrisée.
Michel, avec une détermination silencieuse, s'approcha de la porte d'entrée. Il posa une main hésitante sur la poignée, et, à leur grande surprise, la porte s'ouvrit sans résistance, grinçant légèrement. La maison n'était pas verrouillée. Ils entrèrent, le souffle coupé, s'enfonçant dans l'obscurité du rez-de-chaussée. Les lieux étaient silencieux, mais un silence menaçant. L'air sentait le renfermé, mêlé d'une odeur métallique presque imperceptible. Gabriel essaya de se calmer, mais ses mains tremblaient. Les souvenirs douloureux, enfouis depuis tant d'années, se bousculaient dans son esprit.
Michel fit signe à Gabriel de rester en arrière, avançant prudemment jusqu'à l'escalier. Ils sursautèrent en entendant un bruit sourd venant de l'étage supérieur. Le sang de Gabriel se glaça. L'homme était là, quelque part au-dessus d'eux, probablement inconscient de leur présence. Michel grimpa les marches deux par deux, le bois craquant sous ses pieds. Arrivé en haut, il fit irruption dans une pièce, où il se retrouva face à face avec un homme, une tasse de café encore tremblante entre ses mains. La tasse glissa, tomba, et se fracassa au sol, les éclats de porcelaine éclaboussant le tapis.
L'homme, Frédéric Letellier, se figea, ses yeux s'élargissant de stupeur lorsqu'il reconnut Michel. "Qu'est-ce que tu fais chez moi ?" balbutia-t-il, la voix rauque. "Pourquoi tu me fous un flingue sous le nez ?"
Mais Gabriel était déjà là, et à la vue de son ancien bourreau, son souffle devint laborieux. Les images de son passé refirent surface avec une brutalité implacable : le cri des enfants, les ombres oppressantes, la peur étouffante. Michel se tourna vers lui, observant ses yeux écarquillés et son visage blême. "Tu es sûr que c'est lui ?" demanda-t-il, la voix vibrante d'émotion.
Gabriel hocha lentement la tête, le poids de la peur l'écrasant, ses poumons refusant de coopérer. À cet instant, Michel perdit le contrôle. Une colère accumulée depuis des années explosa en lui. Avec un cri de rage, il abattit la crosse de son arme sur le visage de Letellier, lui brisant le nez, le sang éclaboussant les murs jaunis. Il le plaqua au sol, continuant de frapper, chaque coup nourri par la souffrance d'avoir perdu sa fille, sa femme, sa vie. Letellier tenta de se défendre, mais Michel ne s'arrêta pas, déversant toute sa peine et sa haine.
Des alarmes, des sirènes de police, commencèrent à hurler au loin. Gabriel lâcha l'arme que Michel lui avait passée, ses mains moites et glacées. Michel reprit ses esprits un instant, les jointures de ses poings ensanglantées, et hurla à Gabriel de sortir et de prévenir les policiers. Gabriel obéit, mais en descendant, un son attira son attention. C'était un léger sanglot étouffé, provenant d'un placard enchaîné, où une lourde chaîne et un cadenas pendaient sinistrement.
Le cœur de Gabriel rata un battement. Ignorant les ordres de Michel, il remonta à toute allure, attrapa l'arme qu'il venait de lâcher, et redescendit. "Gabriel, qu'est-ce que tu fais ?!" s'écria Michel, paniqué. Mais Gabriel ne l'écoutait pas. Il tira, et le cadenas se brisa, la chaîne tombant lourdement. Il ouvrit le placard d'un coup sec.
À l'intérieur, un petit garçon était recroquevillé, un bandeau noué sur les yeux, les poignets liés par une corde rugueuse. Des sanglots secouaient son petit corps. Gabriel tomba à genoux, détacha le garçon avec des gestes pressés, et le serra contre lui, le berçant doucement. "Tout va bien," murmura-t-il. "Tu es en sécurité maintenant." L'enfant s'agrippa à son cou, ses bras frêles le serrant avec une force désespérée.
Gabriel se releva, le garçon dans ses bras, et sortit en trébuchant de la maison. Dehors, les gyrophares bleus illuminaient la scène, les policiers accourant avec leurs armes pointées sur lui. "Je m'appelle Gabriel Evans !" cria-t-il, levant une main tremblante. "Tout va bien !"
Il déposa doucement le garçon sur le sol. "Va," murmura-t-il, "c'est fini." L'enfant, en larmes, courut vers les policiers, et l'un d'eux, reconnaissant Gabriel, rassura ses collègues. Le même policier, qui s'était occupé de Gabriel quelques jours auparavant, s'avança, son visage empreint de compassion.
Gabriel expliqua la situation d'une voix tremblante, et les policiers montèrent en trombe à l'étage, ressortant peu après avec Letellier, menotté et inconscient. Une justice tardive, mais enfin rendue.
Le chaos de la scène s'était apaisé. Les sirènes de la police continuaient de hurler, perçant le silence oppressant de la nuit. Gabriel, les jambes tremblantes, s'adossa à la voiture de police, son souffle rauque émanant de la peur et de l'épuisement qui l'habitaient. Le petit garçon qu'il avait sauvé était assis à quelques mètres, une couverture enroulée autour de ses frêles épaules, tremblant de froid et de peur. Les policiers lui offraient des sourires rassurants, mais l'ombre de la terreur ne s'effaçait pas si facilement.
Michel, le regard lourd de fatigue, s'approcha lentement de Gabriel. Ses mains ensanglantées tremblaient encore, le souvenir de la violence qu'il avait déchaînée contre l'homme qui lui avait volé sa famille gravé dans son esprit. Mais en voyant Gabriel, une chaleur différente inonda son cœur, une reconnaissance muette pour ce jeune homme qui, malgré ses propres démons, avait eu le courage de sauver un enfant.
Michel posa une main sur l'épaule de Gabriel. « Tu l'as fait, petit... Tu as sauvé un autre enfant. » Ses mots étaient pleins de larmes, comme si chaque syllabe était un adieu à la souffrance accumulée au fil des ans.
Gabriel, les yeux baignés de larmes, hocha la tête. Mais il y avait un vide, une douleur sourde qui ne voulait pas s'effacer. « Mais les autres... Les autres qu'il a pris, eux... Où sont-ils ? » Sa voix se brisa, emplie d'un chagrin indicible.
Les policiers commencèrent à explorer les environs, fouillant chaque recoin de la maison lugubre. Leurs visages se transformèrent en masques d'horreur lorsqu'ils découvrirent ce que l'homme avait caché pendant toutes ces années. Des trous, creusés en secret dans le jardin, furent mis à jour. Les familles des disparus furent appelées, leurs cris déchirants écho résonnant dans la nuit, chacun recevant enfin la vérité qui les avait torturés si longtemps. Une sensation étrange d'apaisement descendit sur les lieux. Les familles des victimes, rassemblées pour pleurer et se soutenir, trouvaient peu à peu une paix fragile.
Puis, dans un élan de douceur, le petit garçon que Gabriel avait sauvé se détacha de l'étreinte des policiers et revint vers lui. Il s'accrocha à son cou, le regard rempli de gratitude. Ce simple geste fit monter une vague d'émotion chez Gabriel, lui rappelant que malgré ses blessures, malgré sa culpabilité, il avait fait quelque chose de bien, quelque chose de magnifique.
Dans le ciel, les dernières lueurs de la journée semblaient rendre hommage aux âmes perdues, apportant une promesse fragile de jours meilleurs. La tragédie était là, indélébile, mais avec elle venait aussi l'espoir d'une guérison lente, une cicatrice qui ne s'effacerait jamais mais qui, avec le temps, cesserait de saigner. Ces rayons caressant doucement le paysage brisé, illuminant les visages fatigués mais soulagés de ceux qui avaient survécu. Gabriel, debout à côté de la voiture de police, sentit la tension de son corps se relâcher peu à peu. Le petit garçon qu'il avait sauvé, les mains encore tremblantes, restait accroché à son bras, comme s'il avait trouvé un refuge.
C'est alors qu'une voix familière s'éleva dans l'air. “ Gabriel ! “ Esteban, les yeux rouges de larmes, accourait vers lui, suivie de près par Thomas et Anaelle. Leurs visages portaient les marques de l'inquiétude et du désespoir, mais une fois qu'ils l'aperçurent, une lueur de soulagement éclaira leurs regards.
Sans hésitation, Anaëlle se jeta dans les bras de Gabriel, ses sanglots mêlés à ceux de son frère. “ tu nous a fait tellement peur... “ murmura-t-elle, la voix brisée, ses bras serrant Gabriel comme si elle avait peur qu'il disparaisse de nouveau. Esteban, les yeux brillants, les rejoignit, entourant Anaëlle et Gabriel de ses bras puissants, et Thomas, les lèvres tremblantes, se pressa contre eux, ses bras repliés autour de la taille de ses frères et de sa sœur.
Ils restèrent ainsi, tous les quatre, formant une étreinte qui semblait englober toute la douleur, toute la peur et tout l'amour qu'ils ressentaient les uns pour les autres. Les larmes coulèrent, mais elles étaient différentes, pleines de reconnaissance, de soulagement. Ils étaient ensemble, vivants, et c'était tout ce qui comptait.
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L'envers des ombres
Misteri / ThrillerQuand Gabriel reçoit une lettre énigmatique l'invitant à explorer les mystères d'un village perdu, il y voit une opportunité de raviver son inspiration d'écrivain. Mais dès son arrivée, une étrange sensation s'empare de lui, comme si les ombres même...