Chapitre 16 - Le Souffle des Secrets

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   Gabriel pénétra dans la forêt à l’aube, poussé par un besoin aussi ancien que mystérieux. Le ciel était encore teinté de nuances d’indigo, et le soleil, bien qu’à peine levé, projetait une lumière froide et pâle à travers les arbres. Chaque souffle d’air semblait chargé de givre, s’infiltrant sous sa veste, mordant sa peau avec une insistance presque malveillante. Autour de lui, les troncs des arbres s’élevaient, massifs et imposants, formant un labyrinthe naturel où la lumière hésitait à pénétrer. La forêt s’étirait devant lui, dense et immobile, mais étrangement vivante, comme une entité qui observait ses moindres mouvements.

Les feuilles mortes craquaient légèrement sous ses pas, mais le tapis forestier étouffait le bruit, créant une atmosphère où chaque son semblait venir de plus loin, amplifié et distordu. Gabriel sentit une tension étrange le gagner, un malaise diffus qui s’insinuait dans sa conscience. L'air était saturé d'une odeur de terre humide et de bois en décomposition, un parfum si lourd qu'il en devenait oppressant. Chaque pas le rapprochait de quelque chose qu’il ne pouvait nommer, une force insaisissable tapie dans les profondeurs des bois. Les souvenirs de cette nuit, tant d’années auparavant, revenaient par vagues, le tourmentant.

Il s’arrêta un instant, posant une main tremblante sur le tronc rugueux d’un chêne. Sous ses doigts, l’écorce semblait presque vibrer, comme si l’arbre gardait en lui les échos des vies passées. Un frisson glacial parcourut son échine, et sa vision se brouilla. Le monde autour de lui se dissipa en une brume étrange, tourbillonnant avant de céder la place à une scène qui n’était pas la sienne, du moins c’est ce qu’il se persuada.

Gabriel se retrouva projeté des années en arrière. Il se voyait, enfant, allongé sur le sol. L’odeur métallique du sang flottait dans l’air, se mêlant à celle de la terre humide. Une douleur fulgurante émanait de son épaule gauche, comme si une lame s’y était enfoncée. Sa respiration était haletante, saccadée par la peur, et pourtant, il s’obligeait à rester immobile. Il savait, au plus profond de lui, que bouger serait signer son arrêt de mort. À quelques centimètres de lui, une petite fille aux boucles sombres tremblait de peur, ses yeux grands ouverts, cherchant désespérément le réconfort dans son regard.

“ Fais la morte “, lui murmura Gabriel, d'une voix tremblante mais déterminée. Les mots étaient comme un secret partagé, un fil ténu qui les liait dans cette terreur. La fillette hocha la tête, ses lèvres pâles, ses yeux bruns remplis de larmes. Elle serra sa main, et ce contact, bien que fragile, leur donnait un semblant de force. Autour d’eux, la nuit était dense, et une silhouette rôdait dans l'obscurité, un homme dont la présence suintait la menace. Gabriel pouvait sentir son souffle se raccourcir, chaque muscle de son corps tendu, prêt à céder sous la pression de la peur.

Un cri perça soudainement l’obscurité, brisant le silence comme une lame fendrait l’air. Le son résonna dans son crâne, et il dut lutter pour ne pas céder à l’envie de courir, de hurler. Il serra les paupières, priant pour que l’horreur passe, que la silhouette s’éloigne, mais la peur restait, accrochée à lui comme un démon insaisissable.

Et soudain, tout disparut. La vision se dissipa aussi brutalement qu’elle était apparue, le laissant pantelant, agrippé au tronc de l’arbre. Son cœur battait si fort qu’il avait l’impression que ses côtes allaient céder sous la pression. Il porta instinctivement la main à son épaule, s'attendant presque à y trouver une plaie béante. Mais il n’y avait rien, rien que la morsure du froid et le sentiment persistant d’une menace imminente.

La forêt autour de lui semblait se transformer. Les arbres, autrefois silencieux et immuables, se dressaient maintenant comme des sentinelles malveillantes, leurs branches s’entremêlant en formes grotesques. Les ombres dansaient entre les troncs, créant des visages tourmentés qui semblaient le fixer. Les murmures reprirent, un chœur de voix indistinctes qui l’appelait, soufflait des secrets à la fois familiers et incompréhensibles.

L'envers des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant