Le lendemain matin, Gabriel se réveilla avec des cernes sombres creusées sous ses yeux. La nuit avait été un champ de bataille, son sommeil ravagé par les cauchemars et le souvenir de la lettre inquiétante trouvée sous sa porte. Ses pas traînaient sur le parquet vieilli, sa respiration lourde, comme si un poids invisible s'était accroché à ses épaules. La lettre, pliée avec soin, était enfouie dans la poche intérieure de sa veste, mais il la sentait, palpitante, brûlante comme un tison qui lui rappelait sans cesse sa présence.
Il se rendit au poste de police. L’édifice était modeste, ses murs gris tristes et fatigués, la peinture écaillée par endroits. À l’intérieur, une odeur amère de café froid et de moquette usée le saisit à la gorge. Des murmures étouffés flottaient dans l’air, échos de conversations secrètes et de préoccupations ordinaires. Gabriel, le cœur battant, s’approcha de l’agent d'accueil. Il tendit la lettre d'une main tremblante, ses mots hésitant à franchir ses lèvres.
“Elle a été glissée sous ma porte cette nuit… Il faut que vous trouviez des empreintes”, balbutia-t-il, chaque mot pesant comme du plomb.L’agent, d’abord indifférent, jeta un regard distrait à la lettre. Mais quelque chose dans l’expression tourmentée de Gabriel, dans sa voix secouée par l’angoisse, le fit changer d’attitude. Un silence solennel tomba sur la pièce. Des officiers s'approchèrent, posant des questions méthodiques, exigeant des détails : l’apparence du meurtrier qu’il avait croisé, les circonstances de la découverte de la lettre. Ils prirent ses empreintes, le regardant avec une méfiance professionnelle, mais une lueur de compréhension filtrait parfois dans leurs yeux.
Quand l’interrogatoire prit fin, Gabriel se sentait vidé, comme si les policiers avaient arraché chaque pensée de son esprit, le laissant à moitié conscient, désorienté. Pourtant, un besoin impérieux le poussait encore : le symbole. Ce couteau croisé avec l’étoile, gravé dans sa mémoire, le hantait. Il devait en savoir plus. Le souvenir de l’enfance, du danger, d'une peur diffuse, revenait à la surface comme des fragments d’un puzzle incomplet.
Il se dirigea vers la bibliothèque. Le bâtiment l’accueillit dans une lumière tamisée, presque sacrée, qui caressait les étagères chargées de volumes anciens. L’odeur des pages poussiéreuses le submergea, un mélange de nostalgie et de réconfort qui lui fit penser aux heures passées, enfant, à fuir le monde entre les lignes d’un livre. Mais aujourd’hui, ce n'était pas le refuge qu’il cherchait, mais des réponses.
Les archives municipales, avec leurs tiroirs de métal grinçants et leurs dossiers jaunis, lui parurent un trésor de secrets. Il fouilla fébrilement, ses doigts effleurant des photos abîmées, des articles de journaux, des lettres manuscrites d’époques lointaines. Puis, ses yeux tombèrent sur une vieille photographie, une de ces images en noir et blanc qui semblent capturer une âme entière en un instant. Un groupe de scouts, des enfants alignés, le regard vif, devant un bâtiment que le temps avait probablement effacé.
Un nœud d’émotion se forma dans sa gorge. Il scruta les visages souriants, figés dans une innocence qui semblait presque douloureuse. Puis, il lut les noms inscrits au bas de la photo, et ses yeux s’écarquillèrent : Mattheo. Il cligna des paupières. Mattheo… ce nom réveillait une angoisse enfouie.
Sur la photo, Mattheo se tenait droit, les cheveux blonds, les yeux d’un bleu presque étincelant. Mais le sourire de l’enfant, si doux en apparence, masquait à peine les marques de blessures : un bleu sous l’œil gauche, une cicatrice fine à la tempe. Gabriel sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine, comme si une main invisible avait effleuré sa nuque. Ce visage, ce regard vulnérable, lui semblait étrangement familier. Une image, un souvenir, peut-être un rêve oublié, remontait, vibrant de danger et de tristesse, cet enfant lui ressemblait étrangement.
Il secoua la tête, chassant les pensées troublantes. Avec des mains tremblantes, il fit une photocopie de la photo. Le papier fraîchement imprimé lui sembla plus lourd que de raison, chaque enfant figé là, témoin muet de quelque chose qu’il n’arrivait pas encore à saisir. Sortant de la bibliothèque, le vent glacial le gifla, aiguisant ses sens, le ramenant dans le présent avec une brutalité crue.
Mais il ne pouvait plus ignorer ce que son instinct lui hurlait. Cette vérité, ce secret, se tapissait dans les bois, le guettait. Une silhouette dans l'ombre, ou peut-être une mémoire revenue pour le hanter.
De retour chez lui, Gabriel sortit sa nouvelle caméra thermique de son emballage. Il ajusta chaque réglage avec un soin méticuleux, les mains moites d’anticipation. La forêt, ce lieu étrange, l’appelait à nouveau. Il ne s’y rendait pas pour chasser une créature de chair et de sang. Non. Il allait affronter quelque chose de bien plus insaisissable. Une peur ancienne, un écho du passé.
Le crépuscule teintait le ciel de nuances mauves, et lorsqu’il atteignit l’orée des bois, l’obscurité semblait l’attendre, tapie, vivante. Les arbres dressés comme des sentinelles veillaient, formant une barrière imposante, marquant la frontière entre deux mondes. Gabriel prit une profonde inspiration, sentant l’air glacé remplir ses poumons, chaque fibre de son être tendue vers ce qu’il ne comprenait pas.
La caméra en main, il s’enfonça dans la forêt. Le silence l’enveloppa, dense, presque oppressant. Chaque craquement de branche, chaque souffle de vent paraissait amplifié, comme une menace. Ses yeux étaient rivés sur l’écran de la caméra, capturant le moindre changement de température, la moindre anomalie.
Il marcha, longtemps, son souffle formant des nuages blanchâtres dans l’air froid. Rien. Juste le vide de la nuit, sa propre solitude. Puis, soudain, l’écran s’alluma d’une lueur vive. Une forme humaine, se détachant nettement, juste devant lui. Ses mains devinrent moites. Il s’immobilisa, le cœur battant à tout rompre, les yeux écarquillés.
La silhouette, figée, semblait l’observer, cachée parmi les troncs sombres. Gabriel avala difficilement sa salive, sa peur résonnant comme un tambour dans ses oreilles. Une montée d’adrénaline paralysante. Pourtant, il ne bougea pas, son instinct lui interdisant de fuir. Son pouce pressa le bouton d’enregistrement. L’image vacilla un instant, puis se stabilisa, capturant cette figure fantomatique, cette entité énigmatique.
Mais, en un battement de cils, la forme se dissipa. Le silence retomba, plus lourd encore. Gabriel baissa la caméra, son souffle rauque déchirant l’air glacé. Il resta là, seul, les jambes tremblantes, la vérité plus insaisissable que jamais.
Dans la nuit, la forêt semblait s’étirer, prête à refermer ses mâchoires sur lui, gardienne de secrets immémoriaux. Gabriel savait qu’il venait de frôler quelque chose. Un danger, un souvenir, ou peut-être… une part de lui-même.
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L'envers des ombres
Mistero / ThrillerQuand Gabriel reçoit une lettre énigmatique l'invitant à explorer les mystères d'un village perdu, il y voit une opportunité de raviver son inspiration d'écrivain. Mais dès son arrivée, une étrange sensation s'empare de lui, comme si les ombres même...