Le réveil fut un peu flou pour Gabriel, comme un rêve qui glisse doucement vers la réalité, le tirant d’un sommeil où flottent encore les réminiscences d’une enfance qu’il n’arrive pas tout à fait à toucher. Autour de lui, la chambre d'hôpital paraissait à la fois étrangère et familière. Les murs blafards, peints d'une teinte verte pâle, semblaient se refermer sur lui, créant un cocon d'isolement. L'odeur du désinfectant, à la fois âcre et familière, formait un cocon de silence lourd, seulement troublé par le cliquetis des instruments médicaux qui se réveillaient avec lui.
Les souvenirs de son enfance émergeaient par bribes, fugaces et évanescents, comme les volutes d’une fumée dispersée par le vent. Le visage souriant de sa mère, les rires des camarades de jeu, et ce sentiment d’innocence qui, à présent, lui semblait presque irréel.
Sans trop réfléchir, il fouilla dans son sac, comme un naufragé cherchant une bouée. D’un geste presque machinal, il rassembla les éléments de son enquête, leur donnait un ordre, comme pour remettre de la structure dans un esprit chamboulé. Puis il tomba sur son portefeuille, qu’il ouvrit presque par automatisme. À l'intérieur, une petite photo ternie par le temps apparut, une image d'un enfant plein de vie.
Il contempla la photo : un petit garçon avec des mèches blondes ébouriffées, des yeux bleus innocents et un sourire tendre, celui qu’il avait perdu quelque part entre les années et les batailles de sa vie. Ce sourire était là, paisible, insouciant, figé dans le temps, une promesse de bonheur qu’il n’avait jamais complètement tenue. Dans ce regard d’enfant, il y avait toute une naïveté douce, une lumière qui semblait si loin de lui aujourd’hui. Une émotion intense, presque douloureuse, se mit à gronder en lui. Le poids de ce souvenir lui pesait sur la poitrine, rendant son cœur lourd et son esprit inquiet.
Une voix le tira brusquement de ses pensées. Une jeune infirmière, nouvelle dans le service, entra avec un sourire chaleureux. Ses cheveux châtains tressés retombaient sur ses épaules et sa blouse blanche contrastait avec le bleu des murs. « Bonjour, monsieur. Vous allez pouvoir sortir dans la matinée. Avez-vous quelqu’un qui pourrait vous apporter des vêtements ? » demanda-t-elle avec une douceur qui contrastait avec la froideur de la pièce.
Un sourire amusé apparut sur le visage de Gabriel, comme une lueur d’espoir dans un ciel autrement nuageux. « Je vais devoir appeler un ami, je pense. »
Il se leva, encore un peu chancelant, et se dirigea vers le téléphone du couloir, chaque pas résonnant comme un rappel de sa fragilité. À l’autre bout du fil, Esteban répondit sans hésiter qu’il arrivait. Gabriel ne put s’empêcher de ressentir un soulagement intense, le genre de réconfort simple qu’apporte un frère. Une chaleur familière l’envahit à l’idée de retrouver quelqu’un sur qui il pouvait compter, un lien tangible dans un monde qui lui semblait si instable.
De retour dans sa chambre, il recommença à ranger ses affaires, mais la sensation étrange qu’il avait ressentie devant sa photo d’enfance ne l’avait pas quitté. La chambre, bien que dénudée de toute personnalité, semblait lui faire écho, comme si les murs avaient absorbé son désespoir et sa solitude.
L’infirmière revint avec une grande enveloppe à la main. « Une collègue m’a demandé de vous transmettre ceci, ce sont des résultats d’analyse. »
Il prit l’enveloppe en tremblant légèrement, la texture du papier lui paraissant à la fois familière et étrangère. Lorsqu’il la déchira, le bruit du papier glissa entre ses doigts, et ses yeux parcoururent les mots qu’il savait déjà. Les résultats sont positifs. C’était écrit noir sur blanc : son sang et celui d’Esteban étaient bien ceux de deux frères. L'adrénaline monta en lui, le faisant frissonner. Il n’avait plus de doute, il était bien Mattheo.
L’émotion monta en lui comme une vague, le prenant par surprise. Il n’avait jamais imaginé ressentir un tel soulagement à l’idée d’appartenir à quelqu’un, de se retrouver dans le reflet de l’autre, dans ce qu’Esteban représentait. Ce n’était pas simplement un morceau de papier, c’était la preuve qu’il existait, qu’il avait un lien tangible avec un passé qui lui échappait encore. Il avait enfin un ancrage, quelque chose à quoi se rattacher.
Des dizaines de minutes passèrent, et enfin Esteban arriva, à l'arrière d'une grande poussette. Gabriel ne put cacher sa surprise en voyant trois petits visages identiques qui le scrutaient avec des yeux curieux et pleins de vie. Leurs rires résonnaient dans la chambre comme des notes de musique, un son que Gabriel n'avait pas entendu depuis longtemps. “Désolé, j’ai dû les emmener, “ dit Esteban en riant. “ Je te présente mes fils : Theo, Louis, et Sofian. “
Gabriel se pencha vers les enfants, les regardant avec une tendresse qu’il ne se connaissait pas. Il sourit, un sourire sincère qui dégageait une chaleur oubliée. Ces petits étaient un morceau de bonheur pur, une promesse d’innocence que la vie semblait avoir oubliée de lui offrir. Puis, en silence, il se releva et serra Esteban dans ses bras. Là, sans un mot, il lui tendit l’enveloppe contenant les résultats. Esteban la parcourut en quelques secondes, mais l’émotion, elle, prit racine profondément. Ses yeux s’embuèrent de larmes, et il attrapa Gabriel dans une étreinte qui exprimait tout : la joie, le soulagement, la confirmation qu’ils étaient bel et bien frères. “ Merci, “ murmura Esteban, sa voix vibrante d’émotion avant de lui tendre un sac de vêtements.
Gabriel s’excusa, un peu gêné : “ Désolé de t’embêter pour ça… je n’avais personne d’autre. “
Esteban éclata de rire, un rire franc qui sembla remplir la pièce. Son regard lumineux éclairait l’obscurité qui pesait sur Gabriel. “ Arrête d’être bête ! Tu ne m’embêtes pas, au contraire. Dis-moi… tu veux venir vivre chez moi un moment ? Ça me rassurerait de t’avoir près de moi. “
Gabriel secoua la tête, embarrassé. ”Non, je ne veux pas m’imposer. J’ai déjà un logement, même s’il est un peu… précaire et puis je ne veux pas embêter ta femme. “
Esteban le fixa, un sourire triste aux lèvres, puis ses yeux se posèrent un instant sur ses fils, jouant dans la poussette. “ Tu ne t’imposes pas, “ répondit-il. “ Et puis, pour être honnête, tu n’as pas tort : ta maison ne me paraît pas très sécurisée en ce moment. Quant à ma femme… “ Il esquissa un sourire amer. “ Elle est partie. “
Gabriel resta interdit “Partie ? “
Esteban acquiesça, son regard se perdant un instant dans les souvenirs. “ Un soir, je suis rentré et je les ai trouvés tous les trois, seuls, dans leurs sièges, posés sur la table. Elle m’avait laissé un mot expliquant qu’elle n’en voulait plus, ni d’eux, ni de moi. “
Un silence pesa entre eux, lourd de tristesse et de désillusion. Gabriel observa Esteban avec une admiration nouvelle. Cet homme, bien que brisé, semblait porter sur ses épaules un fardeau qu’il avait choisi de transformer en force. “ Et… tu as l’air d’aller bien, pourtant ? “
Esteban rit doucement, et un éclat de fierté illumina son regard. “ Ça a été dur, bien sûr. Mais aujourd’hui, je me rends compte que c’est parfait comme ça. Ces trois petits monstres sont tout ce qui compte pour moi. Je n’ai pas besoin de plus. “
Gabriel hocha la tête, touché par cette résilience, et enfila les vêtements que son frère lui avait apportés. Chaque pièce était une étreinte, une promesse de réconfort. Ils descendirent tous les deux à la voiture, et Gabriel aida Esteban à installer les enfants dans leurs sièges. Une fois en route, Esteban proposa : “ On passe chez toi pour récupérer tes affaires ? “
Le visage de Gabriel se ferma. “ Non, pas avec les enfants. Cet homme est dangereux. “ Il prit une inspiration, l’angoisse pulsant dans sa poitrine. “ Si tu peux me déposer chez l’ami qui m’a conduit ici, je récupérerai ma voiture et j’irai seul chez moi. Je te rejoindrai ensuite. “
Esteban fronça les sourcils, mais finit par acquiescer : “D’accord, mais sois prudent. “
Gabriel lui offrit un sourire rassurant, mais au fond de lui, une boule d’angoisse commençait à grandir. Alors qu’ils roulaient, il se perdit dans ses pensées, son regard errant sur les visages innocents des enfants dans le rétroviseur. C'était le début d'un nouveau chapitre, une promesse de rédemption, une lumière dans l'obscurité de son passé. Mais il savait que les ombres qui l'entouraient n’étaient pas prêtes à le laisser partir si facilement.

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L'envers des ombres
Mystery / ThrillerQuand Gabriel reçoit une lettre énigmatique l'invitant à explorer les mystères d'un village perdu, il y voit une opportunité de raviver son inspiration d'écrivain. Mais dès son arrivée, une étrange sensation s'empare de lui, comme si les ombres même...