Chapitre 22 - Le scénario du gros Halouf

1K 24 21
                                    

Le soleil a bien décliné. Il y a cette luminosité de fin de journée dans la ville, heure à laquelle les gens sont rentrés du travail, et ceux qui veulent s'amuser vont dehors. Je marche d'un pas rapide. J'ai décidé de pas prendre le tram. Marcher, ça me détend. Halouf n'est pas pire que plein de clients, mais je le déteste plus que presque tout le monde. Ce n'est pas qu'il soit obèse et hideux. Ni mielleux ou hypocrite. Je vois bien pire. J'en sais rien précisément. J'aime pas son délire avec la jeunesse.

Je marche sans regarder autour de moi, pour être certaine que pas un type ne capte mes yeux. Je reste dans ma bulle. A me demander encore une fois ce que je fous. J'imagine récupérer tout mon fric et m'évanouir dans la nature. Est-ce que Farid parviendrait à me retrouver ? Pas sûr. Mais pas impossible.

Je me sens un peu conne avec mes couettes et ma Chupa Chups. Dans le genre cliché, on ne fait pas mieux. J'ai l'impression de me faire remarquer, dans la rue. Inutilement, car tout le monde s'en fout de cette meuf déguisée en l'image de collégienne vue par un gros pervers. De toute façon, c'est le désert.

La porte s'entrouvre et je fais mon sourire le plus éclatant.

- Salut, tonton Michel ! J'avais envie de te dire bonjour !

Halouf ouvre un peu plus la porte, non sans avoir vérifié que personne n'observe la scène. Je pénètre dans le couloir de son échoppe bourgeoise. Halouf est immense, pas loin de deux mètres. Il est super large aussi, et il doit faire dans les 160 kg. Il traine les pieds sur le carrelage ancien. Il respire fort aussi.

Une fois dans la cuisine, Halouf peut enfin m'observer de la tête aux pieds. Je porte des Converse roses, un bas de jogging H§M et un sweat Jennyfer. Comme prévu, je ne porte ni culotte, ni t-shirt sous le sweat.

- J'avais dit aucun maquillage.

- J'ai juste mis un petit trait sur les yeux. Je pensais que cela vous plairait...

- Ca ne me plait pas. Ca te vieillit de deux ans au moins.

- Je suis désolée, je ne mettrai rien la prochaine fois.

Halouf transpire. Il a une moue boudeuse comme un gros gamin rouquin. Avec mon Eye-Liner, j'ai dévié de son scénario déviant. Il m'invite cependant à m'asseoir à table. Il se dirige vers les placards et le frigo. Il sort une bouteille de lait, un bol, et un paquet de choco BN. Il me sert avec une attitude joviale qui me rend mal à l'aise.

- Alors l'école, comment ça se passe ?

- Je suis la première de la classe en français et en histoire. Mais la prof de maths peut pas me saquer.

- Attention Jessie, c'est important les maths, pour ton avenir.

- Je sais, tonton, je sais bien.

Tonton Halouf est posté juste derrière moi tandis que je me force à bouffer ses putains de BN. Il respire fort, comme s'il allait faire un malaise. A cause de son obésité, j'imagine. Il pose une main sur mon épaule et une autre sur le sommet de mon crâne.

- C'est bien, tu es une petite fille sérieuse. C'est important l'école.

Je croque dans mon deuxième biscuit, surprise du nombre de malades que compte l'agglomération bordelaise. J'essaye d'imaginer ce qui se passe dans la tête de Halouf. Qu'est-ce qui fait qu'on en arrive là ? Payer une jeune prostituée pour faire semblant d'abuser de sa nièce de 14 ans. A quel moment il décide de vivre son fantasme plutôt que d'aller voir un médecin, ou la police, pour se faire enfermer ? Je déteste tous mes clients, même ceux que je juge sympa. Halouf, je le classe dans la catégorie des mecs où je ne saisis pas le délire. Fantasme simplement glauque, ou annonciateur d'un viol futur ? Dois-je me laisser baiser comme d'habitude car ce n'est qu'un vicelard de plus, ou j'ai une information capitale en mains, qui peut sauver la vie d'une collégienne qui n'a rien demandé ? C'est le merdier dans ma tête.

Emmy, 19 ans, journal d'une prostituéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant