Chapitre 11 - Le SMS normal

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Mon téléphone vibre. C'est lui qui me réveille. Lui et mon besoin de fix.

11h10. Je bouge un peu sous la couette. J'ai mal. Partout. Je m'étire. C'est encore pire, mais je n'ai pas l'impression d'avoir un truc de pété. Je passe une main sur mes côtes, saillantes sous ma peau, mais elles non plus ne semblent pas avoir voulu se briser. C'est comme si mon corps avait tellement l'habitude d'être frappé qu'il résistait à tout, malgré ses dimensions réduites...

47 messages. Des clients, beaucoup. Qui demandent si j'avale, si je peux faire nature, si j'encaisse bien les sodomies, si 19 ans c'est bien mon âge car ils kifferaient bien que j'ai moins... Bref, la routine. Farid aussi. Qui me dit qu'il va se démerder sans moi pour assurer les rdv. Comme si c'était de ma faute. Pas un mot d'excuse. Plutôt des reproches, mais non formulés. Et un SMS de Thomas.

Des larmes jaillissent sans que je puisse les retenir. Je n'ai pas encore lu, mais je ne peux me retenir de pleurer. Longuement, à gros sanglots. A chaque fois que je hoquette, je souffre le martyr car tout mon corps est ecchymose. L'horreur de ma vie m'explose au visage, tandis que ce mec normal m'envoie un SMS normal, pour un rdv normal. Thomas ne le sait pas, mais notre possible verre ensemble est un événement pour moi. Abrutie par l'héroïne, par la violence quotidienne, moins je réfléchis et mieux je me porte, et je n'ai jamais l'occasion de croiser un mec extérieur à mon univers glauque. Chaque journée terminée je me félicite qu'elle soit derrière moi tout en sachant que la prochaine lui ressemblera. Trop conne pour changer quelque chose à cela. Trop conne... Tous les hommes le disent et leur mépris quotidien, à tous, doit bien avoir ses racines dans la réalité. Je mérite ma vie de merde. Et de toute façon ma vie sera courte. Je me félicite d'avoir caché tout ce fric à Farid et à tous les voleurs, mais à quoi bon ? Puisque je survis tous les jours dans mon enfer, sans plan de sortie.

Je pleure encore et encore, tout à mon apitoiement. Pute blessée et morveuse qui s'essuie le nez sur sa couette.

Je parviens à m'extraire du lit et me dirige péniblement vers la commode, ou est rangé mon matériel. Dans le miroir, je me vois. Petite brindille avec la joue encore rouge et gonflée. Et le corps squelettique et marbré sous les coups de mon propriétaire minable. Je me remets à pleurer. J'essaye de ne rien renverser pendant que je me prépare le fix. Je m'injecte l'héroïne et attends quelques minutes, toute à ma défonce. Enfin, je jette un coup d'œil sur le SMS normal de Thomas.

"Salut Emmy, Dsl de te spammer avec tous mes messages ! :/ J'espere que tu as passé une bonne nuit. On se voit toujours ce soir ?"

Je pousse un grognement de dépit. Impossible de le voir avec ma gueule. Ou plutôt si, la gueule, ça irait encore avec un peu de fond de teint. Après tout, je n'ai pas de cocard. Mais si on doit se foutre à poil, ce n'est même pas la peine. Sans compter que je suis pas capable de marcher normalement. Et je ne sais pas si mon estomac pourra avaler quoi que ce soit.

Putain.

Merde.

Bordel de merde !

Je réfléchis. Il me faut trouver un entre-deux. Après tous, les gens normaux ne baisent pas le premier soir. Je ne suis pas une pute, on pourrait se voir et se promettre un second rdv, si il n'a pas découvert dès le premier soir combien j'étais la reine des connes ? Le temps que je me refasse une santé...

Sans réfléchir si je pourrai honorer cette promesse, je réponds à Thomas un autre SMS normal. Le mieux que je puisse faire.

"Hi Thomas, Tkt pas tu peux m'écrire no souci. Par contre jai un empechement de derniere mn ce soir, je suis dsl. On pourrait pas se le boire demain soir ou après demain ?"

Je ferme les yeux en pressant sur envoi, consciente que le petit Thomas pourrait lâcher l'affaire. Je ne sais pas pourquoi ce mec qui m'est totalement inconnu a pris une telle importance dans ma vie pourrie...


Emmy, 19 ans, journal d'une prostituéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant