Dans ses oreilles résonnait son propre cri, comme s'il émanait du fond de son cœur ou de ses poumons. C’était comme si chaque cellule libérait quarante-six notes, mais ensuite la cellule se désintégrait progressivement, et les notes se rangeaient méthodiquement en ligne, tandis qu’une force étrange analysait chaque note en deux, produisant le son le plus horrible que l'on puisse imaginer. Chaque son ainsi divisé rassemblait alors ses semblables, formant une nouvelle cellule, tendant à devenir complète, où ils devenaient des particules entières et se divisaient à nouveau en deux cellules, et ainsi de suite, en boucle.
Elle seule entendait ce son, vibrant dans ses oreilles, tandis que ses dents restaient serrées, et ses mains, crispées, sentaient la lame froide approcher de son cou. Karina aperçut son reflet dans l'eau glacée de la rivière. Son visage n'avait plus l'apparence douce d'une princesse, mais portait les marques du désespoir, de la survie, et de longs périples infructueux. Dans un geste brusque, elle passa le poignard près de son cou; puis, dans ses mains, elle tenait désormais sa longue tresse noire, serrée fermement, ne laissant plus que ses cheveux retomber à peine sur ses épaules.
Ses yeux étaient encore aveuglés par le souvenir du long chemin qu'elle et Neilée avaient dû parcourir pour arriver enfin au royaume d'Optique. Là aussi, comme partout, le chaos régnait. Les recherches de la femme aux trois cicatrices et la guerre menée par la nouvelle directrice du Casterin éveillaient en elle une rage brûlante. À Lentarium, chaque seconde nourrissait un peu plus son espoir, et elle venait enfin de trouver un abri accueillant.
Les pages du manuscrit étaient couvertes d’une écriture si minuscule qu’elle semblait défier toute tentative de lecture, comme si chaque lettre était plus petite que la distance entre les ondes lumineuses observées au microscope optique. Mais avec le microscope électronique, qui interagissait différemment avec le parchemin, grâce à la distance de 0,005 nanomètres entre les ondes des électrons aucune rayure ne pouvait s'échapper et une lettre après l'autre apparaissait enfin sur l'écran.
« Trois carottes râpées, une citrouille, deux concombres… » Karina tournait furieusement les pages, y découvrant des recettes de ragoût et des instructions pour "cuire au feu de cheminée pendant deux heures". Rien qui ne fasse allusion à la légende du Casterin.
« — Mais… qu’est-ce que ça veut dire ? » demanda Karina, désespérée, retenant ses larmes face à cette nouvelle déception.
« — Ça ressemble à un vieux livre de recettes, » répondit calmement le jeune homme en lunettes. Elle l’avait grassement payé pour accéder à l’appareil sans éveiller les soupçons des autorités. « Il y a sept siècles, c’était courant d’écrire de la sorte. »
La maîtrise royale avait frôlé l'issue fatale. Elle se retenait à peine de sombrer dans l'hystérie, de tout détruire, et, l'espace d'un instant, il lui sembla qu'elle luttait même pour ne pas sauter par la fenêtre. Encore un échec, encore une fois tous ses efforts avaient été vains, et elle n'avait, une fois de plus, pas avancé d'un pouce.
La flamme du feu de camp dévorait lentement les bûches, illuminant la nuit d'une lumière vacillante et accompagnée d’un léger crépitement, tandis que la fumée dissipait lentement les souvenirs de Karina.
Perdue dans un monde invisible aux yeux de tous, où chaque chose semblait simple et explicable, elle observa le feu d’un œil nouveau. Le bois, composé de molécules organiques comme la cellulose et la lignine, subissait ici une pyrolyse : sous l’effet de la chaleur, il se décomposait en l’absence d’oxygène. Ce processus libérait des gaz volatils qui s’oxydaient en rencontrant l’oxygène, formant du dioxyde de carbone, de l’eau et du monoxyde de carbone. La chaleur ainsi libérée alimentait la flamme, en un cycle fascinant et presque hypnotisant.
Sans hésiter, Karina jeta dans le feu sa longue tresse noire, encore imprégnée de sel marin. Le spectacle devint soudainement plus magnifique. Au début, l’eau salée s’évaporait, refroidissant les mèches et les faisant se consumer lentement avant de s’enflammer complètement. La kératine, principal composant de ses cheveux, se décomposait sous la haute température, libérant de l’ammoniac et du monoxyde de carbone, donnant à la combustion une odeur particulière. L’eau de mer, riche en différents sels, et notamment en chlorure de sodium, se décomposait sous l’effet de la chaleur, libérant des ions de sodium qui teintaient la flamme en jaune. Quelques impuretés de potassium ajoutaient un léger reflet violet.
À mesure que les sels chauffaient et se cristallisaient, des craquements et de fines étincelles accompagnaient la combustion, créant un effet visuel et sonore presque enchanteur. Karina, les yeux fixés sur cette danse de flammes et de lumière, laissait les dernières traces de son apparence royale se consumer.
Il fallait retourner à Sinistra et enfin retrouver ce livre, elle détestait sa naïveté envers ce inconnu qui lui a donné cette ouvrage, sûrement si elle le reverrai il ne passerai pas sans vengeance. Le meilleur des plans c'était de retrouver le navire "Corail noir" et reprendre la quête depuis le début, armée cette fois de méfiance et de détermination.
Les souvenirs de la trahison d’Anaïar, tout comme les pensées de Manrat, refaisaient surface. Manrat continuait-il ses recherches sur ce qui s’était passé à Casterin, ou bien la vie royale et scientifique s'était-elle dressée en obstacle sur son chemin ? Cherchant à échapper à cette nostalgie amère, Karina se plongea à nouveau dans le monde mystérieux façonné par la nature. Il fallait rejoindre Tarnab au plus vite, le second foyer de tous les pirates après le royaume du crime. Différents plans et idées tourbillonnaient dans son esprit.
Si seulement elle pouvait se déplacer comme une sismique à travers tout les rochers continental ou océanique pour ce retrouver à l' autre bout du globe tout en passant la lithosphère avec ses rochers sédimentaires et ensuite magmatique dont le magma ne se précipitait pas à se refroidir et en passant par un angle elle pourrait facilement atteindre plusieurs kilomètres en peu de temps. Ou voilà une autre idée folle, encore plus audacieuse, lui traversa l'esprit. Si seulement elle pouvait plonger dans les profondeurs de l’océan et se fondre dans les courants marins profonds… Ces flux d'eau froide, invisibles à la surface, parcouraient des milliers de kilomètres sans jamais s'arrêter, régulant les climats et connectant chaque océan. Si elle pouvait s'y glisser comme un poisson spectral, elle pourrait atteindre n’importe quel rivage du monde, emportée par la force des courants abyssaux.
Cette pensée la faisait sourire, un éclat de rêve dans ses yeux fatigués. En réalité, les courants marins étaient inaccessibles pour un corps humain : la pression des abysses briserait quiconque en quelques secondes, tandis que la froideur de l’eau paralyserait tout organisme.
Elle soupira, ramenée à la réalité, et se recentra sur l'unique solution possible. Le moyen le plus sûr et le plus rapide était de monter sur son nouveau cheval, acheté récemment, et de partir à la recherche de son ancien équipage.
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Légende du monde perdu [TOME 2]
FantasyKarina quitte son royaume pour résoudre le mystère de Casterin qui est occupé par sa sœur Anaiar.