Nuit d'été

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Il est des moments où dans une vie phrasée de prose se dévoilent des virgules de vers, qui sans en avoir l'air, transforment le ressenti en poème. Une nuit, je ne sais plus pourquoi ni comment, ma chère et tendre a parlé de mon frère, disant qu'elle aurait aimé le connaître, me demandant innocemment s'il me manquait. Et moi, de lui répondre un peu bêtement que oui, et que c'était tous les jours pareil, et que j'aurais aimé la lui présenter. Honteusement, je cachai la vraie force de mes remords, la fougue de mes regrets, l'appétit de mes démons, derrière d'épais rideaux cousus de phrases bateaux trop courtes et fausses pour avoir un sens. Ma pudeur me contraint, et je me hais de la laisser faire. J'aurais voulu lui dire que subir chaque jour la disparition de son souvenir est un calvaire, que l'oubli est devenu une phobie, que son soutien disparu me blesse, que voir chaque jour son ancienne chambre momifiée en une autre pièce me hante et que de tous mes rêves irréalisables, celui de le faire parrain de mes futurs enfants est celui que je chéris le plus. Et j'ai répondu : "Oui, tous les jours. Vous vous seriez bien entendus." Alors, ma propre honte m'est revenue comme un ouragan, montant jusqu'aux yeux : pourquoi lui mentir ? pourquoi à elle ? Elle me connaît plus que quiconque ! Puis d'un coup, je lui ai dit : "Merci." Elle m'a demandé pourquoi, j'ai répondu : "Pour tout !" Quelques mots ont suivi : "Tu m'as sauvé. - De quoi ? - De tout le reste." Elle m'a embrassé, s'est dissimulée ensuite : elle pleurait, pleurait pour moi, pas de pitié, mais de douleur, alors j'ai fini par pleurer avec elle. Cela faisait une éternité que les rideaux ne s'étaient pas ouverts.

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