Je me tourne une énième fois dans mon lit. Impossible pour moi de dormir. J'ai tellement de choses en tête que je n'arrive pas à appuyer sur le bouton off pour me reposer. Voilà plusieurs jours que la taupe a été débusquée et emmenée ailleurs pour notre sécurité mais j'ai encore du mal à reprendre confiance dans cette maison. Cette maison qui m'a accueillie et m'a permise d'avoir de si beaux souvenirs. Je me redresse et regarde par la fenêtre. Non, je doute de ma sécurité à chaque instant sauf... Sauf quand je suis avec lui. Et c'est là mon plus gros problème.
Je me lève pour essayer de m'occuper. Si je commence à penser à Lucifer, je vais penser à Michel puis à l'enterrement qui approche mais aussi au faite que dans moins d'un mois je repars chez moi. C'est le plus dur : ca me tord le ventre, me monte les larmes aux yeux, et obstrue ma gorge. Ce baby-sitting a dérapé mais de la meilleure des façons. J'ai l'impression de faire partie de leurs vies tout comme eux font partis de la mienne. Peut-être qu'ils m'attendront, qu'ils viendront me voir ou que moi je pourrais leur rendre visite.
Lorsque je descends, je trouve encore la maison animée. Plusieurs Snake's Blood jouent aux cartes, d'autres boivent en discutant. Et plus loin dans le salon, je trouve Dylan affalé dans le canapé en train de chercher un film.
-Salut, je dis pour qu'il me remarque.
-Tiens, la baby-sitter. Les enfants sont couchés à cette heure-là, me taquine-t-il.
Je lève les yeux au ciel mais un sourire ne peut s'empêcher d'apparaitre sur mon visage.
-Tu veux regarder un truc avec moi ?
-Je veux bien.
On s'installe tous les deux, épaule contre épaule, et nous passons bien une demi-heure à choisir un film qui nous convient à tous les deux. Avant de lancer le film, il me fait savoir qu'ils vont faire venir leur tatoueuse dans une semaine et que si j'ai envie, je peux moi aussi lui demander quelque chose.
-Je suis toujours mineur Dylan, il me faut l'autorisation d'un responsable légale, lui fais-je savoir.
Ma réponse semble l'amuser.
-Ania, c'est la tatoueuse de notre gang, elle s'en fou de ton âge et de qui tu es. Le lendemain, elle aura une arme en main à surement devoir attaquer nos rivaux. Alors crois moi, ce n'est pas une limite d'âge qui va lui importer.
Il n'a pas tort et l'idée d'avoir mon premier tatouage ici me plait bien.
Lucifer
Je termine enfin les papiers pour la garde, la succession de mes parents et tout ce qui concerne la maison. Je n'en peux plus. Je me sers un verre de whisky pour faire passer tout ça. Et puisque je suis majeur, tout devrait bien se passer. Un dernier document dans ma pile à traiter me fait froncer les sourcils. J'ai pourtant tout fait. C'est lorsque je l'ouvre que je comprends ce que c'est. Je le referme ne sachant pas si c'est une bonne idée de lire ce dossier maintenant. Elle m'en a dit assez je suppose. Cette nuit là, elle n'a eu aucun secret pour moi. Elle m'aurait livré son âme entière si elle avait pu. Je chassais ses démons, je pansais ses plaies et j'adorais ses cicatrices.
Cependant, une chose me revient en mémoire : le lendemain de son agression, elle m'a sorti tout un tas de conneries plus grosses qu'elle. Et ce dossier psychiatrique pourrait m'éclaircir sur cette zone d'ombre incomprise. Les documents en main, j'hésite.
La première page est remplie d'information sur elle : Anastasia Robins née le 20 avril 2007. Fille unique. Quarante cinq kilos pour un mètre soixante cinq. Aucun antécédent médical, aucun traitement en cours. Suivie régulièrement par son médecin pour vérifier son poids. Suspicion d'anorexie ? La photo en haut à gauche la montre souriante, surement un peu plus jeune que maintenant. Son sourire est vrai, pur. Son regard est illuminé par une joie explosive. Elle est l'exact opposée de celle qui se trouve dans cette maison. Et je sais ce qu'il s'est passé.
Page suivante : c'est un compte rendu d'une psychologue.
« -J'ai commencé à voir Anastasia pour un problème de gestion de la colère mais les échanges que nous avons eu, même s'il ne parlait pas de l'incident, n'ont démontré aucun débordement de rage ou de prédispositions à la violence. Elle semble même contre ce genre de façon d'agir. J'ai donc fait un retour à son établissement et même si ça aurait dû s'arrêter là, je lui ai proposé de continuer à venir me voir et que cette fois ci, je n'aurai de compte à rendre à personne.
Anastasia est revenue me voir malgré son apriori. Nous avons pu aborder son enfance, ainsi que son impression de solitude constante. Malgré ce ressentit, elle me dit, d'elle-même, que ses parents lui ont donné tout ce dont elle avait besoin. Elle me dit aussi que ces séances lui font du bien, qu'elle se sent plus normal de ressentir toutes ces choses que nous abordons. Elle a parlé d'une enseignante avec qui elle peut discuter en toute confiance. J'ai souligné le fait que ce soit une excellente chose qu'elle s'entoure de ressources comme celle-ci.
Anastasia a annulé plusieurs séances pour finalement revenir trois mois plus tard. Le changement fut radical : que ce soit dans sa manière de s'habiller, de se tenir, et même d'être. Je lui ai demandé comment elle allait en ce moment, comment se passait les cours et si sa famille allait bien. Ses réponses brèves m'ont fait comprendre qu'elle était là mais pas pour les mêmes raisons qu'avant. Elle a associé sécurité à nos échanges ce qui lui a donné envie de revenir pour se sentir mieux. Elle recommencé à revenir comme elle le faisait, même si nos discussions ne sont pas celles qu'elles étaient. Elle n'a plus fait référence à sa professeure et ses parents m'ont annoncé qu'elle s'était faite mutée. Cette perte de repère à pousser Anastasia à revenir vers moi.
Peu importe le temps qu'il faisait, Anastasia gardait le même pull et continuait de distordre ses manches. Cette façon d'agir m'a poussé à être un peu plus intrusive et à poser des questions. Sa franchise m'a surprise : elle a confirmé qu'elle se scarifiait pour faire taire ses pensées. Elle a trouvé un moyen d'aller mieux à sa manière. Elle insiste sur le fait que ça lui permet de tenir et de continuer à vivre. C'est selon elle, sa seule solution. Rien ne compte plus que ce moment de paix, nomme-t-elle.
Anastasia a arrêté définitivement de venir me voir. Lors de notre dernière séance, elle m'en a dit plus que tous nos échanges réunis. C'était sa manière à elle de me dire au revoir, en me donnant les réponses à mes questions. »
Les pages d'après sont des photos d'elle suite à son agression. Hématomes sur les bras et les jambes. Contusions au niveau des poignets et des chevilles comme si on l'avait maintenu à ces endroits là. Une morsure partielle sur son épaule ne permettra pas une correspondance dentaire. Le document suivant est sa déposition que je me refuse à lire. Si j'entre aussi profond dans ses pensées, je ne sais pas si je pourrais en ressortir, ou du moins sans y laisser une part de moi. Je continue de feuilleter et un certificat d'hospitalisation : Anastasia est reçue pour des points de sutures au niveau des bras. Ils ont découvert des marques toutes à des stades de cicatrisations différents de ses poignets à ses épaules. Tout comme sur ses hanches et ses cuisses. Mais cette fois là, elle y est allée trop fort et ses parents l'ont retrouvé inconsciente dans sa chambre.
Une seconde admission à l'hôpital suit : cette fois-ci pour infection. C'est surement de ce dont elle m'a parlé lorsqu'elle a soigné mes plaies. Le dossier s'arrête sur ça. Et les conséquences dont m'a parlé Rayan sont maintenant évidente. Elle a perdu toute joie de vivre, son existence se résumait à encaisser et à saigner. Elle avait réussi à se confier mais on lui a retiré cette personne et elle a préféré arrêter d'elle-même les séances plutôt qu'on le lui interdise. Elle vit en reproduisant les mêmes schémas : trouver, perdre et souffrir. Et je n'ai pas été différent. J'ai fait exactement la même chose. Cependant, cette fois-ci, il y a autre chose qui la retient. Michel. Ce gamin est un reflet d'elle-même et tout ce qu'elle a fait pour lui, prend sens. Il sera sa rédemption et peut-être même sa guérison.
Je décide de ranger ce dossier dans un tiroir que je ferme à clés, il rejoint les informations les plus importantes que j'ai. Je vais faire un tour en bas pour vérifier que tout se passe bien et j'irai ensuite me coucher. Lorsque je descends, c'est la relève. Je salue Duke qui va repartir mais celui-ci me pointe le salon.
-Si tu la cherches.
Je fronce les sourcils et remarque une légère lumière de télévision dans le salon. Lorsque j'arrive, je trouve Dylan endormi, Anastasia adossée à lui, elle aussi en plein rêve. J'attrape un plaid qui traine sur le divan et les borde. Qu'est ce que je ne ferais pas. Je prends quand même une photo de la tête de mon ami qui a la bouche grande ouverte avec un petit filet de bave, que j'envoie sur notre groupe. Elle est en sécurité, Michel aussi, je n'ai plus qu'à aller au lit moi aussi.
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The Baby Sitter Of The Devil's Brother
Підліткова літератураPlus il passe et plus les choses changent. Plus il passe et plus les choses évoluent. Quand on le laisse passer, il peut faire naitre une terrible culpabilité. Quand on essaye de le rattraper, il peut être d'un sadisme sans pareil. Quand on le vit...