Chapitre 7 : Lucifer

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Il est deux heures du matin lorsqu'on rentre de cette foutue mission. Je dis « on » parce que ces enfoirés m'ont suivis jusqu'à la maison pour y dormir.

-Vous n'avez pas votre pieu à aller retrouver sérieusement, je râle en passant la porte.

-C'est mieux chez toi, commence Jack.

-Puis il y a la piscine, continue Dylan.

Je me tourne vers les deux plus responsables de cette bande de bras cassés.

-Et vous, c'est quoi votre excuse ? Demandé-je en posant mes affaires sur le sofa.

-S'ils restent, dit Rayan en pointant les deux imbéciles. Nous aussi.

Je lève les yeux au ciel. Je vais les tuer. Tous les quatre.

-Vous connaissez la maison, dis-je. Bonne nuit.

Je les laisse et je monte quatre à quatre les marches, épuisé. Je passe devant la chambre de la baby-sitter et par pur curiosité, j'ai envie d'ouvrir sa porte. Imaginons qu'elle m'ait désobéi. J'abaisse lentement la poignée et ouvre. Le lit est défait mais vide. Plus loin, la lumière de la pleine lune éclaire le balcon, dévoilant sa frêle silhouette assise à terre, le dos contre la rambarde. Sa jambe tressaute à vive allure et ses mains tremblent comme si elle était en manque. Ce ne sont pas mes affaires. Tant que Michel n'est pas attaché à elle, je dois la faire dégager le plus vite possible Je referme et je fais la même chose devant la chambre du petit. Mais lorsque j'ouvre, je regrette d'être parti. Des tas de feuilles sont éparpillées avec du matériel qui n'appartient pas à Michel. Au mur, de magnifiques dessins représentant des dizaines de papillons comme s'ils étaient exposés. Jack a raison: ils ont quelque chose en commun et ça les rapproche bien plus que ce que je pensais.

Le lendemain matin, le réveil est compliqué. Encore plus lorsque c'est Michel qui vient me secouer pour que je vienne jouer avec lui à huit heures du matin.

-J'arrive bonhomme, grogné-je en me massant les yeux. Vas réveiller les gars, ils sont dans les chambres d'amis.

Si je dois me lever, eux aussi. Lorsque je descends, Michel est sur le canapé avec les manettes de prêtes. La baby-sitter est dans la cuisine, pour l'instant dos à moi, mais sa démarche peut assurée et ses gestes lents me font me méfier. 

-Lucifer je te hais.

Je fais mine d'être concentré et je ne me retourne pas lorsque Jack s'affale à côté de moi. Le petit gagne et sautille sur le canapé. Je me tourne pour donner la manette à un des gars mais je remarque tout de suite la baby-sitter les mains contre ses tempes, le regard perdu. 

-Dis-moi bonhomme, ça c'est bien passé avec Anastasia ?

Il s'arrête instantanément et considère mes frères avant de se mettre à parler.

-Oui. On a dessiné. 

-Et elle a été violente parfois ? Ou très fatiguée ? Demandé-je et les gars me dévisagent.

-Non. Elle sourit toujours et ça me donne aussi envie de sourire.

Après sa confession, il vire au rouge en réalisant ses mots. Dans un élan de honte, il s'enfuit à toute jambe vers sa chambre. 

-C'était quoi ces questions ? M'interroge Rayan. 

-Rien, je voulais juste être sûr.

-Être sûr qu'elle n'était pas violente ? T'es sérieux ? C'est un ange avec lui alors avale la pilule mon vieux, s'agace Jack en soufflant.

-Regardez là, dis-je en me tournant légèrement. Depuis cette nuit elle est comme ça. On dirait une putain de droguée en manque. 

-Bien, puisque tu adores être parano. 

Le blond se lève et rejoint la baby-sitter dans la cuisine. Instantanément, celle-ci éteint son téléphone et le retourne contre l'îlot. Il s'approche doucement avec un sourire rassurant. Il engage la conversation, elle fronce les sourcils, puis dès qu'il a fini elle secoue la tête de droite à gauche avant de répondre. À son tour, il hoche la tête et lui sourit de toutes ses dents. Il lui répond et la laisse. Lorsqu'il revient un air satisfait sur le visage j'ai envie de le cogner. 

-Alors ? Quête Dylan. 

-C'est pas une droguée, affirme-t-il.

-Comment tu peux en être sûre ? Elle aurait pu te mentir, continué-je. 

-Je le sais, c'est tout.

-On n'est pas avancés avec toi, soufflé-je. 

Je laisse les gars dans le salon et je vais prendre une douche.

Anastasia :
Je dois me reprendre et vite. Ils pensent que je suis une droguée en manque tellement mon comportement est suspect. Je ne peux pas me permettre de perdre ce boulot et pourtant je vais tout faire foirer. Mes crises d'angoisses ne cessent d'augmenter en fréquence et en intensité, si bien qu'elle me pompe toute mon énergie. Je savais que même pendant les vacances ils ne me laisseraient pas tranquille, mais je ne pensais pas avoir peur même à des centaines de kilomètres d'eux. Je pensais pouvoir souffler. Je pensais pouvoir être en paix rien qu'un instant. Mais ils prennent chacun de mes souffles, serrant ma gorge toujours plus fort, empêchant mes poumons de se gonfler d'air. 

J'étouffe. Je meurs petit à petit de peur. Pourtant, dès qu'il s'agit de lui, tout disparaît et tout ce que j'ai en tête c'est lui. Il semble avoir tout aussi mal que moi, en permanence. Sa timidité maladive l'empêche de demander de l'aide alors je m'assure d'être là où il aura besoin de moi. Et je réfléchis. Le dos tourné à la baignoire où il prend son bain, je pense au fait que personne ne fait attention à moi comme ça. Me faire des amis après eux c'était bien trop compliqué. C'était trop de risques, trop de questions. Personne n'aurait pu comprendre ce qui fait que personne n'est là. Ma peine résonne à celle de ce petit garçon si seul. 

-Tout va bien ? Demandé-je pour être sûre même si je l'entends jouer. 

-Mh mh. 

J'aimerai faire plus. J'aimerai effacer toute sa douleur. J'aimerai effacer tout ses souvenirs néfastes. J'aimerai lui retirer cet handicap. J'aimerai effacer ma douleur. J'aimerai effacer tous mes affreux souvenirs. J'aimerai les retirer de ma vie. 

Si je l'aide, peut-être que je m'aiderai un peu. Il apaise mes pensées sans que je ne sache pourquoi. Car c'est ce lien qui nous relie qui nous fait nous accrocher l'un à l'autre. 

-Tu me fais sourire. 

Je me fige. Je n'ose pas me retourner pour ne pas le priver de son intimité mais j'aurai aimé voir ses grands yeux me le dire aussi. 

-Tu me fais sourire aussi, répliqué-je la voix un peu tremblante. 

-Luci veut que tu t'en ailles, continue-t-il et je retiens ma respiration.

Peut-être le veut-il aussi. 

-Et toi ? Demandé-je les larmes aux yeux.

-Non. 

J'ai laissé couler les larmes. Dos à lui, il ne peut pas les voir alors je me permets. Je mords ma lèvre si fort que je crois que je saigne. Il m'a accepté auprès de lui. J'ai réussi. 

-Alors je ne partirai pas, affirmé-je.

Et mes mots eurent un écho apaisant et chaleureux sur mon âme meurtrie. Et c'est promis, je vais te faire vivre petit homme.

The Baby Sitter Of The Devil's BrotherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant