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Ren se place brusquement devant moi, main sur la garde de son épée, ses muscles tendus et ses yeux scrutant intensément les fourrés devant nous. Son mouvement m'arrache un soupir agacé.

- Ren, je ne suis plus une enfant,  dis-je en tapotant son épaule avec un petit rire nerveux. Je peux très bien me défendre moi-même, tu sais, après tout je suis actuellement la meilleure au sein du palais. Terminais-je fièrement.

Il ne répond pas, trop concentré sur le bruit qui semble venir du sous-bois. Son regard est si sérieux, si absorbé, comme s'il s'attendait à voir surgir n'importe quelle bête monstrueuse ou démon des anciennes légendes. Prudemment, il avance d'un pas, les sens aux aguets, tandis que je me retiens de rouler des yeux.

Nous restons là, dans une tension presque palpable, jusqu'à ce que la créature mystérieuse bondisse hors du buisson... et se révèle être un adorable lapin blanc, minuscule, au regard doux et curieux.

Je mets quelques secondes à réaliser la scène, et, ne tenant plus, j'éclate de rire. Ren, quant à lui, reste figé, sa main toujours sur son épée, ses yeux passant du lapin à moi avec une expression mi-embarrassée, mi-amusée. Mon rire monte dans l'air frais de la forêt, et j'ai du mal à contenir mes moqueries.

- Vraiment, Ren ? Merci infiniment pour ta bravoure légendaire, je dis en ricanant. Qui sait ce qu'il aurait pu me faire, ce terrifiant lapin.

Il soupire, un sourire amusé venant adoucir son visage, malgré le ton légèrement vexé qu'il adopte pour répondre.

- Rien de tel qu'une menace à fourrure pour te rappeler pourquoi je suis là, murmure-t-il en se détendant, rangeant enfin son épée.

Toujours amusée, je m'accroupis pour caresser le petit lapin, qui renifle doucement ma main avant de se frotter contre mes doigts, visiblement sans peur. Ses poils sont d'une douceur incroyable, et je me laisse aller quelques instants à le caresser, sentant son souffle chaud et tranquille sur ma paume.

- On peut avancer maintenant que le terrible lapin a été neutralisé ? Je lui lance en me redressant, un sourire moqueur toujours accroché à mes lèvres.

Ren lève les yeux au ciel, une expression faussement outrée sur son visage, mais il finit par secouer la tête en souriant, comme s'il admettait la plaisanterie.

- Tu sais très bien que je veille sur toi, moque-toi si tu veux,  répond-il en haussant un sourcil.

Nous reprenons notre marche dans un silence un peu moins tendu. La route devient plus difficile à mesure que nous approchons des ruines, le sol se fait rocailleux, et l'atmosphère autour de nous change imperceptiblement. L'air devient plus lourd, presque oppressant, et les arbres se resserrent, formant un plafond de branches entremêlées qui bloque la lumière du jour.

En silence, Ren et moi échangeons des regards graves, conscients que l'instant de légèreté vient de céder la place à quelque chose de plus sérieux. Les ruines d'Élyndor se profilent enfin à l'horizon, émergeant des ombres denses de la forêt comme une silhouette géante et oubliée. Les vieilles pierres semblent vivantes, comme si elles gardaient le secret de mille histoires, des échos de batailles et de vies oubliées depuis longtemps.

Plus nous approchons, plus une énergie étrange semble émaner des ruines, comme un appel mystérieux qui résonne au fond de mon être. Je me sens irrésistiblement attirée, cette quête qui me pousse depuis des années me brûle de plus en plus fort. Et pourtant, une angoisse sourde m'envahit, me rappelant que ce lieu n'est pas seulement un symbole ou un objectif lointain. Ce que j'espère y trouver pourrait bien changer le cours de ma vie à jamais, voire me confronter à des vérités que je n'avais pas anticipées. Nous traversons les derniers mètres qui nous séparent des ruines d'Élyndor, chaque pas nous enfonçant davantage dans un silence lourd, presque sacré. Les murs de pierre, couverts de lierre, se dressent devant nous, imposants et mystérieux, témoins d'un passé oublié et d'un savoir perdu depuis des siècles. Ren et moi nous arrêtons à l'entrée, nous échanger un regard. Ses yeux, d'ordinaire pleins de malice, sont emplis de gravité.

Je pose une main tremblante contre l'ancienne pierre, sentant son froid se propager dans tout mon corps, comme si une force ancienne me rappelait que je n'étais qu'une intruse ici. Je prends une profonde inspiration pour me donner du courage.

- On y est, murmuré-je, comme pour moi-même, mais Ren m'entend.

Il hoche doucement la tête, sa main effleurant la garde de son épée, toujours vigilant. Sans plus attendre, nous pénétrons dans le cœur des ruines, traversant des couloirs étroits envahis de racines et de mousses, jusqu'à atteindre une salle principale qui s'ouvre devant nous dans toute sa grandeur et sa noirceur. De hauts piliers bordent la pièce, chacun orné de symboles anciens, gravés profondément dans la pierre.

Je m'approche d'un pilier, mes doigts suivant les lignes sinueuses des inscriptions. Les symboles me sont familiers, étrangement. Ils semblent murmurer, comme un souvenir lointain, un écho d'un passé que je ne comprends pas encore.

- Ces symboles... je les ai vus, murmurais-je en scrutant les gravures de plus près.

Ren se tient derrière moi, ses yeux également rivés sur les inscriptions. Il reste silencieux, respectant ce moment et me laissant explorer ces lieux anciens. En avançant plus loin, nous tombons sur une alcôve où se trouve un piédestal surmonté d'un cristal bleuté, scintillant faiblement dans l'obscurité. Sa lueur hypnotisante pulse doucement, comme le battement d'un cœur. Sans même réfléchir, je tends la main vers lui, fascinée, mais la voix de Ren me ramène brutalement à la réalité.

- Ellie, attends ! s'exclame-t-il en saisissant mon poignet, ses yeux fixant le cristal avec méfiance. On ne sait pas de quoi il s'agit. Ce pourrait être... dangereux.

- Ren, je sens qu'il contient des réponses. Depuis que je suis entrée ici, tout semble me guider vers ce cristal, dis-je avec une détermination que je ne me connaissais pas.

Son expression se radoucit légèrement, mais il ne lâche pas mon poignet. Finalement, il relâche lentement sa prise, me laissant poursuivre. J'inspire profondément, et, avec précaution, je tends la main, mes doigts effleurant le cristal bleuté avec une précaution mêlée d'excitation. Dès que je le touche, le monde autour de moi disparaît, happé par une obscurité profonde. Je ressens une étrange sensation de vertige, comme si je chutais à travers le néant, et cette sensation m'est terriblement familière. Cela ressemble au vide où j'ai rencontré Naazel pour la première fois, cet endroit étrange, où le temps et l'espace n'avaient plus de sens. Pourtant, cette fois, quelque chose semble différent, plus intense.

La chute s'arrête soudainement, et je me retrouve debout dans un espace sans fin, aussi noir que l'encre. Tout est calme, le silence assourdissant. Un froid glacial m'entoure, et je commence à avancer, incertaine. Une lueur douce et bleutée se dessine au loin, grandissant progressivement jusqu'à révéler la silhouette d'une femme.

Elle me fait face, immobile et solennelle. Sa peau est d'un noir profond, d'une teinte envoûtante qui capte la lumière bleutée environnante. Ses yeux, d'un bleu intense et lumineux, semblent me scruter avec une profondeur insondable. Elle dégage une aura imposante, mais paisible, presque comme si elle appartenait à cet endroit depuis toujours. Je ressens à la fois de la crainte et de la fascination, comme si elle incarnait quelque chose de plus grand, de plus ancien que moi.

- Ellie, dit-elle enfin, d'une voix douce, mais pleine d'une autorité indiscutable.

Les larmes du crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant