Dix-huit

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Lorsque le couvre-feu sonne, je me glisse dans mon lit. C'est bien la première fois que je suis contente de le voir arriver si tôt. Je fais comme si de rien n'était -ce que j'ai essayé de faire toute la soirée- et me plonge dans Le Horla. Je fais semblant de lire, je suis incapable de me concentrer. Je jette un coup d'œil à Marie-Lou: elle a dit qu'elle n'avait pas faim et qu'elle ne se sentait pas très bien, ainsi donc elle n'est pas venue dîner. Cela m'a énormément soulagée, je n'aurais guère supporté un repas où l'on se serait regardées en chiens de faïence.
Ma colocataire m'a d'ailleurs ignorée toute la soirée, et a lu des magasines people en mâchant des Malabars.
Au bout de cinq minutes, je déclare :
- On devrait éteindre la lumière, non?
Sans un mot, Marie-Lou crache son chewing-gum dans la poubelle, jette sa revue par terre et appuie sur l'interrupteur.
Soulagée, je lâche un "Bonne nuit!", programme mon réveil sur 3h du matin en mode vibreur et me cale sous les draps.
Je n'ai pas été aussi excitée depuis très longtemps. Je me force à fermer les yeux, mais le sommeil ne vient pas.
Je vérifie pour la centième fois que ma lampe torche est bien sous mon oreiller. A force de me tourner et me retourner, je finis par attirer l'attention de ma voisine:
- On peut savoir ce que tu fabriques?
- Il fait un peu chaud, tu ne trouves pas? Je vais boire.
Marie-Lou ne répond pas. Je le lève et m'enferme dans la salle de bain. C'était moins une. Je fais couler de l'eau pour la forme et me fixe dans la glace. Mes yeux sont cerclés de gros cernes violets, mes cheveux sont ternes et mon front a encore pris de nouveaux boutons. Je soupire. Je ne vois vraiment pas ce que Timothée et sa bande me trouvent. Je suis bien laide comparée à eux. Andrea est sublime et Allie possède un charme et une joie de vivre peu communs. Quant à Gretel, son visage est quasiment parfait. Et moi, je suis complètement transparente et inintéressante.
Alors pourquoi m'avoir choisie moi?
Pour un peu, j'aimerais bien que ma voix me réponde. Mais elle reste silencieuse. Je coupe le robinet et retourne dans mon lit. Il est 22 heures.
Bizarrement, je m'endors aussitôt.

Le vibrement de mon téléphone me tire de mon sommeil à mon plus grand regret. Il est 3 heures. Marie-Lou dort à poings fermés et le silence de la chambre est uniquement troublé par un petit sifflement de son nez.
Je me lève sans bruit, enfile un pull et glisse ma lampe dans l'élastique de mon pyjama.
Je sors sur la pointe des pieds et laisse la porte entrouverte.
D'après les indications qu'Allie m'a fournies en même temps que mon Kit Kat, le bureau de la directrice adjointe se trouve à cinq portes de celui de ma psychologue.
Je descends les escaliers en retenant mon souffle. Lorsque la huitième marche grince sous mon poids, je me fige, terrifiée. Je compte dix secondes dans ma tête, puis continue ma descente. Heureusement, personne ne semble se réveiller et finalement, je sors du bâtiment.
Une fois dans la cour, je peux respirer plus librement. Un rire nerveux me prend que j'essaye de stopper la paume sur la bouche. Comme je l'avais prédit, il a plu, et le sol est jonché d'énormes flaques. C'est à ce moment précis que je réalise que j'ai oublié de prendre des chaussures. Tant pis.
En chaussettes, je trottine sur le sol détrempé et le cœur battant, je parviens au second bâtiment.
Sans hésiter, je me dirige vers le bureau de Mme Barbot. La porte est fermée, mais pas verrouillée.
Elle s'ouvre en grinçant, ce qui me fait tressaillir, mais pas un bruit dans le couloir. Je pénètre dans la petite pièce. Celle-ci est très bien rangée et malgré la pénombre, je discerne une décoration de très mauvais goût.
J'allume ma torche.
La lumière éclaire une bibliothèque vitrée dans laquelle sont rangés plusieurs dizaines de dossiers. Comment vais-je faire pour trouver ceux que je recherche? Cela risque de me prendre plusieurs heures.
Je fais glisser la vitre sur le côté et commence à fouiller. Je ne connais aucun de leurs noms de famille, mais je devrais pouvoir trouver. Le dossier d'Andrea est rangé au tout début, dans les A. Je découvre le mien aux C (évidemment je m'appelle Anna Carlson), puis ceux d'Allie et de Grerel aux D et E. Quant à celui de Timothée, il est aux R.
Je les photocopie tous, ce qui fait un bruit infernal. Au bout de ce qui me semble une éternité, je récupère les papiers dans la photocopieuse, range les dossiers à leur place initiale, referme la vitre et sors précipitamment.
Je m'apprête à éteindre ma torche lorsque j'entends du bruit. Mon coeur s'arrête dans ma poitrine. Le bruit se rapproche.
Des pas.
Je me plaque contre le mur et tente de retrouver l'interrupteur de ma lampe. Mes mains tremblent et je fais tomber la torche qui s'écrase sur le sol dans un bruit de verre brisé. Avant de s'éteindre définitivement, elle éclaire une silhouette au bout du couloir.
Je cherche des yeux une cachette potentielle. Malheureusement, il fait trop sombre pour que je puisse discerner quoi que ce soit. A présent, j'entends une respiration.
- Je te vois.
Je hurle de peur, d'effroi et de surprise. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine et je manque de lâcher mes précieux dossiers.
Je tremble de tout mon corps et je bégaye:
- Q-qui est là?
- Baltazar.
Je fouille dans ma mémoire, mais je ne trouve personne de ce nom là.
- B-Baltazar?
Silence.
Je fais un pas sur le côté, mais je sens une main m'agripper l'épaule.
- Oui, Baltazar. Et je sais ce que tu faisais dans ce bureau.
Je frissonne.
- Et tu sais très bien qui je suis.
Réfléchis, Anna. Peut-être qu'après il te fichera la paix.
- Euh...
Le garçon se penche pour ramasser quelque chose par terre. Sûrement ma lampe.
- Dommage que Hansel ne soit pas là, grogne-t-il.
J'entends le clic de l'interrupteur de la torche brisée qui ne s'allume pas et je frémis.
- Je ne sais pas qui tu es. Maintenant, si tu veux bien, j'aimerais bien aller me recoucher.
- Te recoucher? Non je crois plutôt que tu veux aller lire nos dossiers tranquillement. Ou plutôt les leurs, puisqu'ils ne m'ont pas mentionné. En fait, ajoute-t-il en se penchant si près de moi que je peux sentir son haleine fétide, tu ne devrais même pas me connaître. C'est une erreur. Mais tu sais très bien qui je suis.
Je me dégage d'un coup sec de sa prise.
Des doigts, je cherche l'interrupteur sur le mur. J'appuie de toutes mes forces dessus.
La lumière blanche éclaire le couloir et m'éblouit. Mais je le vois enfin.
Le Garçon du Couloir.

Les SurnaturelsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant