Vingt-trois

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Surprise, je fais tomber ma fourchette qui s'écrase dans mon assiette et fait voler des petits pois. Je lâche un petit cri.
- J-je...
Pourquoi faut-il toujours que je bégaye en sa présence?
Je reprends, plus fermement cette fois.
- Quelqu'un t'a autorisé à entrer? Je ne crois pas. On t'a déjà appris à frapper?
Baltazar me fixe à travers ses mèches de cheveux gras et dit:
- Tu as posé une question, j'y réponds.
- Je ne l'ai pas posée à toi.
- Mais tu aimerais quand même connaître la réponse.
Je sens l'agacement me gagner. Je m'étais promis de ne plus avoir affaire à lui. Ce n'est pas qu'il me fait peur, mais je le trouve vraiment trop étrange.
- J'ai posé une question à Allie.
- Allie n'est pas en mesure de te répondre.
Je jette un coup d'œil à mon amie. Son regard est éteint et fixe un point dans le vide. Le magazine continue de danser dans les airs, ses pages tournoient avec un bruit de papier froissé.
Je lui secoue le bras.
- Alliiie!
Elle ne réagit pas.
- Qu'est-ce que tu lui as fait?
Baltazar hausse les épaules.
- Disons que j'ai plus ou moins appris à hypnotiser les autres...
- Non mais t'es malade ou quoi?! Je ne t'ai rien demandé!
- Non, mais tu aimerais bien avoir une réponse à ta question. Or, ce n'est pas Allie qui va te répondre.
- Et pourquoi?
Je suis tellement énervée que je crie sans m'en rendre compte.
- C'est trop douloureux, répond calmement le garçon.
- Je préfère attendre que ce soit moins douloureux pour elle et ensuite lui demander.
- Très bien. Tu rates beaucoup d'informations importantes, en es-tu consciente?
Je me contente de le fixer, les lèvres serrées.
- Mais je respecte ton choix. A plus tard.
Il se tourne vers Allie et d'un clignement des yeux, rompt l'ensorcèlement.
Puis, il sort, sans un bruit.
A mes côtés, Allie cligne des yeux, l'air étourdi.
- Ça va?
- Pas vraiment... J'ai mal au cœur.
Elle se lève, les jambes tremblantes et court à la salle de bain. Je l'entends vomir; et bientôt, une puanteur immonde et insoutenable se fait sentir dans toute la pièce. Je rejoins mon amie dans la salle de bain et lui tends du papier toilette et mon verre d'eau qu'elle accepte volontiers. Elle se penche une nouvelle fois par dessus la cuvette et rend tout son dîner.
Écoeurée, je me pince le nez et lui offre de nouvelles bandes de papier.
Baltazar ne doit pas bien maîtriser son pouvoir, parce qu'à ma connaissance, Timothée allait très bien après avoir été hypnotisé par sa petite amie.
Allie doit deviner ce que je ressens vis à vis de la scène à laquelle j'assiste et bredouille entre deux vomissements:
- Tu peux sortir si tu veux.
Je m'exécute avec soulagement. Je me sens un peu mal de l'abandonner à ce moment-là, mais je crois que si je reste là, je risque de vomir à mon tour.
La porte s'ouvre soudain à la volée.
- Non mais vous savez pas frapper ici ou quoi?
- Oh, désolé, répond la personne d'un ton doux.
Le garçon à qui j'ai affaire a des cheveux blonds ébouriffés et de grands yeux verts innocents. Il est plutôt grand, très mince et porte un simple jean retroussé aux chevilles et un T-Shirt blanc. Je distingue un cordon brun dans son col mais je ne peux pas voir le pendentif attaché au bout, caché sous son haut.
Il me sourit, et son sourire éclaire son visage bronzé et fait apparaître de jolies fossettes dans ses joues.
Il se présente:
- Je m'appelle Sawyer.
- Sawyer? Comme Tom Sawyer?
Il rit.
- Ouais, mon père est assez original. En plus, il adore ce livre. Et toi?
- Anna.
- Oh, super! Tu sais qu'en verlan, ça donne aussi Anna?
J'éclate de rire.
- Ouais, après quinze ans, je suis au courant.
Il rit encore.
- Violette m'a prévenu que Allie rendait ses tripes dans la salle de bain, du coup, bah, je suis là.
Je n'y comprends rien, mais laisse passer le garçon. Il se précipite vers Allie.
- Coucou Al. C'est Sawyer.
Il s'accroupit à côté d'elle et pose les mains sur ses côtes. Il murmure quelque chose que je n'entends pas et aussitôt, les vomissements cessent. Allie hoquette une dernière fois et réussit à se redresser, pantelante.
Sawyer lui prend la main, la conduit jusqu'à son lit et l'oblige à s'y allonger.
- Repose-toi, ok? Tu vas te coucher tôt.
Il se redresse et passe une main dans ses cheveux en bataille.
Puis, il se tourne vers moi, toujours aussi souriant.
- Allez, viens, on va la laisser se reposer.
Nous sortons de la pièce et nous retrouvons dans le couloir vide.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé? Je veux dire, qu'est-ce que tu as fait?
- Et bien, disons que mon pouvoir à moi, c'est la guérison.
- Whoua c'est trop cool!
- Oui, mais c'est assez fatiguant. Lorsque je soigne quelqu'un de cette façon, je me vide de toute énergie, parce que je dois la transmettre à l'autre... Ça peut être mortel, si la personne que je doit guérir agonise.
- Oh! Et là, tu te sens bien?
- Oui, ne t'inquiète pas, ce n'était rien.
Une question me taraude.
- Tout à l'heure tu m'a dit que Violette...
- Ah oui, Violette a des sens surdéveloppés. Elle entend bien mieux que nous.
Je hoche la tête, abasourdie.
- Eh ben, t'en fais une tête! Et toi, c'est quoi ton pouvoir?
- Je peux disparaître...
- C'est génial!
Je souris.
Il s'appuie sur le mur et lance:
- Sinon t'as quel âge?
- Quinze ans. Et toi?
- Seize.
Le silence envahit le couloir.
- Bon bah...
Mes mots flottent quelques instants dans le vide qui nous sépare.
- À plus!, s'exclame joyeusement Sawyer.
Il me fait la bise et je sens son odeur; une odeur de soleil et d'océan. Ses cheveux blonds effleurent ma joue quand il se penche vers moi et je suis agréablement surprise de leur douceur.
Puis, il recule et avec un grand sourire, il souffle:
- À demain. J'ai déjà hâte de te revoir.
Puis, il s'éloigne dans le couloir, jusqu'à devenir une toute petite silhouette, avant de disparaître.
Je me rends soudain compte que mon cœur battait la chamade dans ma poitrine.
Deux garçons qui font battre ton cœur dans la même journée, ça fait pas un peu beaucoup? D'abord le petit ami d'Andrea, ensuite-
J'ignore ma petite voix pour ne pas entendre la suite et retourne dans la chambre. Allie est profondément endormie, j'éteins donc la lumière.
J'enfile mon pyjama et me glisse dans mon lit.
Je suis épuisée, mais je suis incapable de m'endormir.
Je reste les yeux grands ouverts à fixer le plafond et à me poser des milliards de questions.
Comment vais-je gérer mon pouvoir? J'ai mal à la tête rien qu'à cette pensée.
Et puis, que s'est-il passé avec Timothée dans le parc tout à l'heure? Allie m'a dit qu'il fallait que je fasse attention mais pourquoi?
Et la réaction d'Andrea... Qu'est-ce qu'elle a? Dans son dossier, ils disent qu'elle est orpheline... C'est peut-être pour ça qu'elle est aussi agressive.
Quant à cette Ambre? Elle met Allie dans des états pas possibles, qu'est-ce qui a bien pu se passer?
Mais la question qui m'empêche le plus de dormir est: qu'a bien pu vouloir me dire Baltazar?

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