Les Surnaturels

Dix

Mme Barbot me fait une visite rapide du bâtiment. Elle me montre l'immense bibliothèque aux tapis épais dans lesquels mes baskets mouillées s'enfoncent et qui semble contenir des milliers de livres; le réfectoire qui est tout aussi grand et qui, comme la bibliothèque, se situe au rez-de-chaussée, la salle informatique (trois vieux ordinateurs qui doivent au moins dater d'un siècle) et le parc. Puis, nous montons à l'étage.
- Le couloir est séparé en deux, m'explique mon guide. A gauche les filles, à droite les garçons.
Elle s'approche d'une fenêtre et poursuit:
- De l'autre côté de cette cour se trouve le bâtiment des salles de classe, ainsi que les cabinets des psychologues et des docteurs.
Des psychologues?
- Bien, je vais te montrer ta chambre.
Elle m'entraîne dans la partie gauche du couloir et s'arrête devant une porte marquée du numéro 57. Elle frappe. Pas de réponse. Elle ouvre donc la porte et pénètre dans la pièce.
C'est une petite chambre divisée en deux. De chaque côté, un lit, une commode et un bureau. Du côté gauche, le lit est défait, des photos et un poster d'un boy band qui m'est inconnu s'alignent sur le mur. Sur le bureau, une pile de livres en équilibre précaire, des stylos et des feutres éparpillés, des feuilles volantes et des cahiers un peu partout, et des Post-its collés dans les coins encore disponibles du bureau. Enfin, la commode déborde de vêtements et une trousse de maquillage semble avoir été renversée par terre.
- C'est un peu le bazar, s'excuse Mme Barbot. Je te laisse t'installer. Le dîner est servi à 19h et le petit déjeuner à 7h. Et extinction des feux à 21h30. Compris?
21h30?! Elle est folle ou quoi?
- Compris.
Elle sort et referme la porte derrière elle. Je dépose mon sac sur le lit et l'ouvre. Je découvre un bout de papier rose: Où que tu ailles, tu restes ma petite soeur préférée. Tu vas me manquer. Bisous, Kate.
Quelques lettres maladroitement tracées dans un coin du papier attirent mon attention: Amuse- toi bien dan ta nouvel ekole! Mik.
Je souris. Mon frère a encore un peu de mal avec l'orthographe. Ils vont me manquer...
Soudain, la porte s'ouvre à la volée sur une fille blonde. Ses cheveux très bouclés sont coupés courts et une paire de lunettes ronde est posée sur son nez.
- Salut!, s'écrie-t-elle joyeusement. Je sursaute; je ne m'attendais pas à ce qu'elle parle aussi fort.
- Comment ça va? Moi c'est Marie-Lou, j'ai quinze ans, presque seize, enfin dans deux mois, mais bon c'est comme si je les avais déjà, tu peux pas imaginer à quel point j'ai hâte de les avoir, j'aimerais bien qu'on m'organise une grosse fête, tu sais comme aux Etats-Unis, ils font une grande fête pour les seize ans, ça s'appelle "Sweet Sixteen", enfin c'est ce que j'ai lu sur Wikipedia, alors tu sais, Wikipedia c'est pas très sûr, il paraît qu'il y a environ trois fautes par article, non mais tu te rends compte?!
Elle parle sans s'arrêter, d'une voix enjouée. Elle continue sur sa lancée en prenant à peine le temps de respirer:
- À part ça, moi ça fait depuis le début de l'année que je suis ici, tu verras, les profs sont cool, les élèves aussi, enfin ça dépend avec qui tu traînes bien entendu, y a les paumés et puis les populaires, moi je me situe à peu près entre les deux, même si j'aimerais bien être populaire bien sûr! Oh, et c'est vrai que c'est un peu le bazar, j'étais en retard ce matin et je retrouvais plus mon mascara, alors j'ai dû vider ma trousse par terre, mais je l'ai pas retrouvé donc j'étais encore plus en retard, heureusement, je me suis pas fait gronder par la prof d'anglais, mais bon du coup, j'ai toujours pas retrouvé ce mascara...
Elle s'interrompt brusquement, comme si elle venait à peine de me remarquer:
- Sinon tu t'appelles comment?
- Anna.
- Super! Tu as vu mon poster?
Et elle se remet à bavarder.
Je l'écoute poliment quoique d'une oreille distraite. Elle ne s'arrête donc jamais?
Finalement, la sonnerie des 7h retentit.
Sauvée par le gong!
- Allez, on va manger!, s'exclame gaiement ma colocataire.