Dix-Sept

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Au dessus de ma tête, le ciel est chargé de lourds nuages gris promettant un bel orage.
Je déteste le mois de mars. Je l'ai toujours détesté.
Un vent frais me fait frissonner. A moins que ce ne soit la présence un peu trop proche de Timothée.
- Euuh... désolée.
J'essaye prudemment de le contourner. Je ne tiens pas à retrouver des insectes dans mon casier demain. Mais Timothée se décale sur la droite afin de m'empêcher de passer.
- Je suis désolée. Est-ce que je peux aller à la cantine? Il est midi et j'ai faim.
- Non, tu ne peux pas, réplique le garçon d'un ton sec.
Je ne peux me retenir de soupirer:
- Écoute, je te présente mes excuses pour ce qui s'est passé l'autre jour. J'ai vraiment eu peur, du coup j'ai lâché mon plateau et...
Mais l'adolescent balaie du revers de la main mes excuses tout en levant les yeux au ciel.
- C'est pas pour ça que je suis ici.
Je sens la première goutte de pluie s'écraser sur ma tête.
Le garçon s'en aperçoit aussi.
- Bon, il pleut. On va parler à l'intérieur.
Je m'impatiente:
- Mais parler de quoi à la fin?!
Timothée s'éloigne déjà vers les escaliers. A regrets, je quitte la cour, et donc mon déjeuner par la même occasion, et le rejoins en courant presque.
Il me conduit à travers les couloirs. Je remarque alors que les autres élèves s'écartent de son passage en le voyant, quitte à raser les murs. Je me souviens alors les paroles de Marie-Lou:"Ce sont les spéciaux."
Mais Timothée n'a rien de si spécial. Bon d'accord, il est brutal et donc, sans doute populaire. Mais spécial ?
Finalement, nous arrivons devant le bureau du Dr Leloup. Il ne prend même pas la peine de frapper et entre.
- Voilà, je te l'ai ramenée, dit-il.
Je pénètre à mon tour dans la petite pièce.
- Tu peux m'expliquer là?!
Mais l'adolescent se contente de hausser les épaules avec un grand sourire.
- À plus!, lance-t-il.
Et il referme la porte derrière lui. Je me tourne vers celle qui est assise au bureau.
C'est une fille de mon âge aux cheveux blonds paille. Elle est très mince et plutôt grande. Ses coudes et ses genoux sont très pointus tout comme son nez. Elle a posé ses tennis sur le rebord du bureau.
- Quelqu'un peut-il m'expliquer ce qu'il se passe?!
- Bonjour à toi aussi, rétorque la fille. Moi c'est Allie.
Je lâche un soupir et m'assoit en face d'elle.
- Moi c'est Anna.
- Je suis au courant.
Son ton supérieur m'exaspère.
Elle se lève avec un grand sourire:
- Bon, tu veux des explications?
Je hoche la tête. Allie inspecte ses ongles rongés couverts d'un vernis vert pailleté écaillé. 
- OK. En fait, Gretel et Andrea se sont rendues compte que t'étais plutôt sympa. Et que t'avais de la répartie.
- Et alors?
Les yeux d'Allie se mettent à briller.
- Tu pourrais vraiment devenir comme nous.
- Comme vous? C'est-à-dire?
- C'est-à-dire, populaire. Tu viendrais aux fêtes avec nous. On ferait des trucs interdits. Tu serais dans notre bande. Ce serait sympa hein?
Je ne peux pas m'empêcher de trouver l'offre alléchante. Ne plus être invisible. Avoir des amis cool, une vraie bande.
- C'est vrai que ça a l'air plutôt bien... Mais il reste un truc que je comprends pas. Pourquoi m'avoir emmenée ici pour me parler de ça? Dans un bureau ?
Allie hausse les épaules.
- Cest plus... confidentiel. Tout le monde veut devenir populaire. C'est très sélectif, tu sais.
- Ah ouais?!
Je suis dubitative. Il y a quelque chose de pas très net derrière tout ça.
- Ça me paraît louche votre histoire.
- On essaye de t'intégrer, bon sang!, s'agace Allie.
- Vous voulez me faire une blague c'est ça? Mettre des limaces dans mon lit! Ou dans mon casier!
- C'est vrai que ce serait drôle... Mais je suis sincère. Écoute, je vais pas y aller par quatre chemins. Les "populaires", ou les "spéciaux" (Elle mime des guillemets dans le vide.) sont appelés comme ça parce qu'on est pas comme les autres.
- Ça c'est vrai, vous êtes carrément bizarres!
Allie glousse:
- En fait, si on est ici, c'est justement pour ça. Je te propose quelque chose: cette nuit, tu vas aller lire nos dossier respectifs à Tim, Andrea, Gretel et moi et ensuite, tu remets ma proposition en question.
- Je... Je ne comprends pas.
- C'est pourtant simple! Tu t'introduis dans le bureau de Barbot pendant la nuit, tu lis nos dossiers et demain, tu viens me voir, pour me dire si oui ou non, tu veux traîner avec nous.
Cette proposition m'intrigue beaucoup. Que peuvent avoir leurs dossiers de si importants?
- Alors?, insiste Allie.
- C'est d'accord.
- Je sens qu'on va bien s'entendre!, s'exclame-t-elle.
Elle me sert gaiement dans ses bras. Elle me sourit avant de dire:
- On va manger?
A ce moment là, la sonnerie retentit.
- Oh non! J'ai cours de maths.
- Bon, bah à plus!
Allie sort et claque la porte derrière elle.
Génial. T'as maths et t'as même pas déjeuné.
L'estomac dans les talons, je rejoins Alice et l'affreux cours de M. Moreau qui promet d'être fortement ennuyeux.

Une fois mes devoirs terminés, je quitte la bibliothèque et remonte dans ma chambre. Je meurs de faim. Par chance, j'ai croisé Allie qui m'a offert une barre chocolatée.
Marie-Lou est assise à son bureau et semble plongée dans la rédaction de ce qui ressemble à son journal intime.
- Coucou!
Marie-Lou me jette un regard noir.
- Euuh... ça va?
- Non.
Elle secoue la tête et se remet à écrire. J'insiste:
- Ouhou! Y a quelqu'un? Qu'est-ce qu'il ne va pas? C'est quoi le problème?
Elle rebouche lentement son stylo.
- Le problème, c'est toi, Anna!
- Moi?
- Oui! Tu crois que c'est cool de m'avoir fait poireauter comme une débile pendant une heure à la cantine?
- Non mais de quoi est-ce que tu parles?
Ma colocataire rit d'un ton amer.
- Notre rendez-vous? On devait pas manger ensemble? Et ensuite, travailler ensemble ?
Zut.
- Écoute, j'ai pas vraiment eu le temps de manger... Mme Theillot m'a retenue.
- Ah ouais? Et pourquoi on m'a dit que tu étais avec Timothée? Tu traînes avec lui maintenant?
- Bien sûr que non!
Marie-Lou s'énerve:
- Alors pourquoi Valentine m'a dit qu'elle t'avait vue avec Allie? Que vous aviez mangé des Kinder à 4h?
- Tu m'espionnes maintenant?
Marie-Lou explose:
- Tu avais dit que tu serais une véritable amie pour moi! Que tu serais toujours là pour moi!
- Mais j'ai le droit d'avoir d'autres amis quand même!
- Ils sont dangereux!
- N'importe quoi!
Je me rends compte que j'ai hurlé. Mais qu'importe. Je sors et claque la porte.

Les SurnaturelsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant