Dix-neuf

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Je me retiens de hurler.
- Alors? Tu me reconnais maintenant?
Je hoche la tête, en tremblant.
Son teint est encore plus pâle que la dernière fois que je l'ai vu. Le reste n'a pas changé.
Je suis aussi figée qu'une statue de pierre, je crois que j'en oublie de respirer.
- O-oui... J-je te reconnais.
Il s'approche encore de moi. Je recule.
- J-je dois y aller.
Je serre les dossiers contre mon ventre. La peur me paralyse les genoux, mais je dois bouger.
Je fais un pas sur le côté. Baltazar me saisit le poignet.
- Pourquoi t'es allée dans ce bureau?
Son ton est menaçant.
Je choisis de ne pas répondre. Je me dégage de sa prise et commence à m'éloigner. Il fait volte face et me lance:
- Tu vas pas aimer, Anna, dit-il de sa voix caverneuse.
Comment connaît-il mon prénom?
Je reste silencieuse et me mets à courir.

Ce n'est que dans mon lit, que je respire normalement. Je me concentre sur mon rythme respiratoire, afin qu'il recouvre un tempo normal.
- Anna?
Je sursaute et me redresse.
Marie-Lou que je croyais endormie me dévisage sévèrement.
- T'étais où?, me demande-t-elle d'un ton dur.
- J'avais super faim, je suis allée chiper des trucs aux cuisines.
- Montre?
Son regard s'est allumé un bref instant, c'est vrai qu'elle doit avoir faim.
- Non.
Même si j'avais à manger, je ne lui donnerais pas; c'est quand même elle qui me surveille et m'interdit d'avoir d'autres amis qu'elle.
Je me tourne vers le mur et remonte ma couette, pour cacher les dossiers.
- J'en étais sûre, murmure Marie-Lou d'une voix tranchante. T'étais pas aux cuisines.
- Et qu'est-ce que t'en sais? J'ai des trucs à manger mais je vais certainement pas t'en passer.
Un silence.
- Alors pourquoi t'as mis un réveil?
- J'y crois pas. Tu fouilles dans mes affaires?
La colère me monte au nez.
Marie-Lou ne répond rien. Je l'entends retomber lourdement sur son matelas.
Je lâche, énervée:
- Bonne nuit.
Au bout d'un moment, la respiration de ma voisine ralentit. Elle s'est rendormie. J'allume mon portable. Il est déjà 5 heures. Le sommeil alourdit mes paupières, mais je ne dois pas dormir.
Comme je n'ai plus de lampe torche, j'utilise la lumière bleutée de mon téléphone pour éclairer les dossiers, froissés entre mes draps.
Je saisis la première feuille et commence à lire.

"Nom du participant : Andrea Andrews."
Participant?
"Âge: 16 ans.
Particularité: hypnotisation et manipulation, télékinésie?"
Mes yeux sont comme bloqués sur cette phrase.
Je continue ma lecture.
" Arrivée à l'Internat: mai 2014."
Cela fait donc un an qu'elle est ici?
" Résumé de la situation: est arrivée ici, en pleine connaissance de ses capacités spéciales. Envoyée ici parce qu'elle effrayait tout le monde dans son ancien foyer pour orphelins."
Pour orphelins?
" Le sujet"(je tique sur ce mot)"a commencé à manipuler les élèves, mais bien heureusement, pas les professeurs. Son pouvoir nous intéresse particulièrement."
Je n'y comprends rien.
Je lis le reste en diagonale et entame le dossier d'Allie.
D'après ce que j'en retiens, Allie Delany, 15 ans, serait capable de faire bouger des objets à distance.
Quant à celui de Gretel Enright, qui aurait d'ailleurs un frère jumeau Hansel, il raconte qu'elle peut maîtriser l'eau.
Enfin, le dossier de Timothée Ricci m'apprend que ce dernier, arrivé en même temps qu'Andrea posséderait une force surhumaine et un métabolisme très élevé.
Je me consacre au dernier, le mien.
Anna Carlson, 15 ans, raconte qu'elle peut disparaître. A menti plusieurs fois au Dr Leloup, qui bien sûr, est capable de déceler les mensonges. Ses prétendues capacités sont intéressantes, il ne reste plus qu'à les prouver.
Je lâche les papiers, abasourdie.
Les paroles d'Allie me reviennent en mémoire. "Tu pourrais devenir comme nous." Mais je suis comme eux!
Moi aussi, j'ai des capacités surnaturelles.
Je respire un bon coup. Toutes ces nouvelles s'entrechoquent dans ma tête. J'ai essayé de mentir à ma psychologue, mais apparemment, elle me mentait aussi en disant qu'elle croyait à mes bêtises.
Je ne peux pas m'empêcher d'éclater d'un rire nerveux, que j'essaye en vain de stopper pour ne pas réveiller ma voisine.
Ses ronflements me rappellent d'ailleurs qu'il me reste à peine deux heures pour dormir.
Je cache les dossiers sous mon lit, éteins mon portable et essaye de me rendormir.

Je me réveille difficilement. Il est 7 heures, je n'ai pas le temps de traîner. Marie-Lou est déjà partie.
Tant mieux.
Je me prépare et tâche de masquer mes cernes tant bien que mal. Le fond de teint dans la trousse de ma colocataire le fait de l'œil, mais je résiste.
Je passe un coup de brosse dans ces cheveux que je n'aime pas, et descends rapidement au réfectoire.
- Hey!
C'est Allie. Son visage est rayonnant, ses yeux verts pétillent au milieu de ses taches de rousseur.
- Bien dormi?, s'informe-t-elle en me faisant un clin d'œil.
Je lui souris. Elle porte des tennis qui avaient dû être blanches dans une autre vie, une jupe en jean et un T-Shirt vert beaucoup trop grand pour elle.
- Vu la tête de ta coloc', elle a dû être plutôt déçue de ne pas être avec toi pendant tes aventures nocturnes.
C'est bizarre, je n'avais pas pensé à cela. J'ai un pincement au cœur, mais je détourne rapidement le regard.
- Alors, quoi de neuf?
- Hmm... Je pense que tu n'avais pas tout à fait raison quand tu as dit: "Tu pourrais devenir comme nous." En fait, je suis comme vous.
- Ouais, donc ça sert plus à rien de mentir à la mère Leloup.
Je rougis.
- Allez, bouge toi, elle t'attends dans son bureau à 8 heures tapantes.
- Mais... et mon cours de français?
- Tu peux mettre une croix dessus!, glousse joyeusement Allie. Allez, viens t'assoir avec nous.
Elle m'attrape par le bras et m'entraîne vers la table du fond. En passant devant celle de Marie-Lou, je sens son regard peser sur moi; et malgré l'étau qui se ressert autour de mon cœur, je l'ignore superbement et écoute Allie bavarder gaiement.
A la table des "spéciaux" comme le disait ma colocataire, je découvre Gretel, assise aux côtés de sa copie conforme version garçon, Andrea, collée à son petit ami, et un garçon de mon âge environ, ainsi qu'une fille plus jeune.
Tous me dévisagent quand je m'assois en face d'eux.
- Eeuuh, salut.
Gretel est la première à réagir.
- Ainsi donc...
- Te voilà, termine le garçon à côté d'elle. Moi c'est Hansel, ajoute-t-il.
- Mon frère jumeau, conclut sa sœur.
Ces deux là me font froid dans le dos. Je n'arrive pas à décrypter l'expression de leurs visages parfaits.
Andrea me fixe et lâche:
- J'aurais jamais cru que t'en étais capable.
- De quoi?, interrompt l'autre fille. Voler des dossiers? Je pense que tout le monde en est capable. Mais toi, tu as fait un bruit pas possible.
Je me sens rougir.
- Laisse-la un peu Violette, la coupe Allie.
Ladite Violette ne semble pas avoir plus de douze ans. Sa peau est couleur chocolat et ses cheveux sombres semblent défier les lois de la gravité. Elle lève les yeux au ciel et mord dans sa tartine.
- Tu ferais mieux de manger, déclare gentiment Allie. Ta matinée va être riche en émotions.
Je hoche la tête et me verse des céréales dans un bol.
- Alors, ça ne te fait pas bizarre de manger ici?, glousse Allie.
- Un peu... Je me sens un peu mal pour Marie-Lou, mais-
- Cette fille est une tarée, me coupe Andrea. Ça fait six mois qu'elle est là et elle n'a toujours pas réussi à se faire des amis. Elle est vraiment bizarre. Un coup, elle rigole et juste après elle pleure. Franchement, ricane-t-elle, je sais pas comment t'as réussi à être copine avec elle. Oh!, j'oubliais! Qui se ressemble s'assemble! Ce bon vieux proverbe!
Violette explose de rire et Timothée sourit. Gretel et son frère restent sans expression et l'autre garçon me dévisage du coin de l'œil. Allie s'énerve:
- Vous voulez lui gâcher son petit-déjeuner ou quoi?!
Violette rétorque :
- Elle peut pas se défendre toute seule?
Je sens la colère monter. Je balance ma cuillère, me lève en faisant tomber ma chaise derrière moi. Mon cœur cogne dans ma poitrine. Mes mains deviennent déjà transparentes.
Je lâche un juron.
- Elle disparaît!, s'écrie le garçon.
Allie m'attrape le bras.
- Calme-toi. Assieds- toi. Respire.
J'obéis, les yeux fermés.
- Là. C'est bien.
Je rouvre les yeux. Tout le monde est silencieux.
Allie me caresse la joue:
- Tes pouvoirs sont très forts. Je n'ai jamais vu ça.
- Si tu l'as déjà vu, murmure Andrea d'un ton dur. Ambre.
- Ambre?
Je me tourne vers Allie. Ses yeux se sont remplis de larmes.
- Tais-toi, siffle-t-elle à l'intention de la petite amie de Timothée.
La sonnerie retentit.
- Allez, on y va, souffle ma nouvelle amie en me prenant le bras.
Avant de quitter la table, j'entends Gretel chuchoter à Hansel :
- Son pouvoir est...
- Incontrôlable.
- J'ai peur pour elle.

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