Trente-trois

1.7K 139 20
                                    

Je marche. Ça fait des jours entiers que nous marchons. Mes pieds me font mal et mes baskets s'usent vite. Ma blessure au front ne guérit pas.

Le moral dans le groupe est au plus bas. Harry me manque atrocement. Son humour, son intelligence, et surtout, son innocence. J'ai terriblement mal.

- Anna?

Je me tourne vers Allie. Son regard vert est moins pétillant que d'habitude, elle semble à bout de forces.

- T'es sûre que ça va?

Je ne réponds pas. Non, je ne vais pas bien, je suis éreintée, Harry est mort, je ne sais pas où nous allons, je n'ose plus fermer l'œil le soir, parce que j'ai peur de m'endormir et de faire des cauchemars.

Un silence gêné tombe entre nous. Nous ne partageons pratiquement plus rien, ne rions plus ensemble. J'ai peur que nous n'ayons perdu cette complicité que je chérissais, que notre belle amitié se brise.

- Quand est-ce qu'on s'arrête?, se plaint brusquement Violette.

Timothée se retourne vers elle et déclare:

- D'après le plan d'Harry, il y a une station service pas loin.

Lui aussi a l'air épuisé. Son visage pâle est creusé, de larges cernes encerclent ses yeux, une ride barre son front et ses cheveux sont ébouriffés dans tous les sens. En voyant le regard blasé et désabusé de Violette, il lâche d'un ton sec:

- Sois contente, au moins on dormira pas dehors.

Je suis plutôt d'accord avec lui. Cela fait plusieurs jours que nous dormons sur les bas-côtés des routes, allongés dans les broussailles, frigorifiés. Nous avons quitté la banlieue où se trouvait l'internat il y a quelques jours, à mon plus grand soulagement. Les terrains vagues, les ruelles glauques où traînaient des jeunes désœuvrés et parfois violents ne me rassuraient pas.

- Attention, une voiture! s'écrie Allie.

Je sursaute, bondit par dessus la rambarde qui court le long de la route et me laisse tomber entre les hautes herbes. Nous rabattons nos capuches et nous accroupissons en silence. Il y a peu de voitures qui passent sur cette route, étant donné qu'elle n'est pas nationale, mais nous ne tenons pas à nous faire repérer. Le véhicule vrombit quelques instants et disparaît dans la nuit. Je me redresse, ignore l'odeur d'essence qui flotte encore dans l'air et, suivie des autres, me remets à marcher. Au bout de ce qui me semble être une bonne heure, j'aperçois enfin le panneau qui indique: Station Service à 50 m.

- On y est presque!, se réjouit Allie.

Nous prenons la bretelle de sortie et débouchons sur un parking où sont garées trois voitures. Un néon clignote faiblement et nous entendons quelques voix.

- On va faire semblant de sortir de la Mercedes garée juste là, chuchote Timothée.

- T'as vu nos têtes?, rétorque brutalement Violette. On doit faire assez peur et on n'a pas l'air assez riches pour posséder cette voiture.

- On met nos capuches, propose Allie et quand on marche, on regarde le sol. On file aux toilettes et puis rendez- vous sur l'aire de jeux là-bas. Je pense qu'on devrait se séparer en deux groupes, pour faire moins suspects. Tim, Baltazar et Andrea ensemble et puis Anna, Violette et moi.

- Ça marche, acquiesce Timothée.

Le premier groupe se dirige donc vers le bâtiment surmonté du panneau lumineux: Boutique et Toilettes.

Nous faisons semblant de bavarder, puis nous entrons à notre tour dans le bâtiment. Nous avançons entre les rayons qui proposent diverses choses comme des sandwichs, des boissons, des magazines ou des souvenirs. Mon ventre se met à gronder en voyant toute cette nourriture. En effet, nous ne mangeons que des barres chocolatées et n'avons pratiquement rien avalé depuis ce matin. Je m'efforce de penser à autre chose.

Les SurnaturelsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant